Repères chronologiques

REPÈRES CHRONOLOGIQUES




1934-1940 Enfance en Bosnie

Popović Ljubomir, dit Ljuba, naît le 14 octobre 1934 à Tuzla, (Royaume de Yougoslavie), dans le territoire de l’ac- tuelle Bosnie et Herzégovine. Sa mère Spasenija, issue d’une famille de prêtre et son père Aleksa, riche marchand, possédaient une propriété avec une au- berge-épicerie, sur la route de Tuzla à Zvornik. Quelques jours avant sa nais- sance, le roi Alexandre de Yougoslavie est assassiné à Marseille. Ljuba disait souvent que sa venue au monde a été marqué par des drapeaux noirs du deuil national et que sa mère, traumatisée par les événements, avait eu un accouche- ment particulièrement difficile. Il insis – tait également sur le fait qu’il était né « à l’envers ». En signe de reconnais- sance pour le dévouement de la sage- femme, les parents donnèrent au bébé le prénom Ljubomir choisi par elle, et non pas celui du grand-père paternel comme l’exige la tradition serbe. Ljuba était un enfant aimé, mais crain- tif et replié sur lui même. La chasse aux écrevisses par le serviteur Steva dans la petite rivière voisine, les histoires ef- frayantes de brigands racontées par le barbier de son père et au fond du jar- din la tombe entourée de fraisiers d’un premier enfant de ses parents, sont les souvenirs les plus marquants qui lui restent. La parution du premier numéro d’un journal pour les enfants du nom de « Politikin zabavnik » est un événement qui lui a fait une forte impression. Son père Aleksa était abonné au quotidien « Politika », que le chauffeur de l’auto- car qui assurait le trafic Belgrade-Tuzla lançait par la fenêtre, sans s’arrêter. Un jour, le journal atterrit devant Ljuba qui découvrit quelques feuilles bariolées du supplément destiné aux enfants. On peut dire qu’à cet instant s’ouvre devant lui, un nouvel univers duquel il ne vou- dra plus jamais sortir.
Ljuba dans les bras de sa mère, Tuzla, 1935
Ljuba (à gauche) avec un petit cousin, Тuzla, 1938-1939

1941 - 1952 Scolarité à Valjevo

A la veille de la Seconde Guerre mon- diale, la famille déménage à Valjevo, en Serbie, échappant ainsi à l’extermina- tion de la population serbe par les mu- sulmans indépendantistes et pro-nazis. Les membres de la famille restés en Bosnie et Herzégovine ont été sauvage- ment assassinés et toutes les traces de leur existence (maisons, tombes, pa- piers administratifs…) ont été effacées. Ljuba fréquente l’école primaire pen- dant la durée de l’Occupation alle- mande. L’enseignement se déroule la plupart du temps dans la grande salle d’une taverne. Les officiers allemands réquisitionnent la maison familiale et laissent seulement aux parents et à leur fils la cuisine et une petite chambre. La famille ne profitera jamais du confort de leur demeure car une fois les Alle- mands partis, ils sont immédiatement remplacés par les dignitaires commu- nistes. Cette période est marquée par les jeux avec ses petits camarades et par son intérêt pour les activités sportives, notamment le football qui occupe une place toute particulière. Ses premières lectures, romans d’aventure et bandes dessinés, suscitent en lui l’envie de s’exprimer par le dessin. Il passe des journées entières dans « Le Clapier », une cabane qui servait à son père pour fumer la viande et à lui-même pour élever des lapins, lire et dessiner. Ici naissent ses premières « œuvres d’art », des bandes dessinées inspirées par ses lectures de jeunesse. A l’époque du collège et du lycée, Ljuba commence à se distinguer par ses talents d’écriture et d’expression plastique. Il emporte le premier prix à un concours d’analyse de film, devant Živojin Pavlović, qui deviendra metteur en scène et futur ami. Il gagne ses pre- miers honoraires en dessinant des af- fiches publicitaires pour une salle de cinéma de la ville tout en y travaillant comme assistant-opérateur dans la cabine de projection. C’est ainsi qu’il commence à aimer passionnément le cinéma, amour qui durera jusqu’à la fin de ses jours.
Équipe de foot des lycéens, Ljuba debout, premier à gauche, Valjevo, 1951

1953-1957 Belgrade, Académie des Arts Appliqués

Le lycée terminé avec des notes plu- tôt bonnes, Ljuba a envie de poursuivre ses études à l’Université de Belgrade. Ses ressources sont maigres et sa fa- mille ruinée, qui subsiste grâce à une allocation octroyée par l’état, ne peut pas l’aider. Son père, qui avait perdu sa fortune en quelques années, peine à trouver du travail et s’installe progres- sivement dans un état de proche de la prostration. Les modestes sommes d’argent que Ljuba gagne de temps en temps ne changent quasiment rien à cette situation. Le directeur de la salle de cinéma, qui apprécie le travail de Ljuba, lui pro- pose alors d’assurer la sélection des films à Belgrade contre une modeste bourse et, parallèlement, d’apprendre le métier de peintre à l’Académie des Arts Appliqués. Muni d’une recomman- dation de son professeur d’éducation artistique du lycée, il y arrive au mois d’octobre 1953 et se rend immédiate- ment au bureau du recteur de l’Acadé- mie Branko Šotra. Il est bien reçu mais apprend, à sa grande déception, que les examens d’entrée sont déjà terminés. Pour ne pas perdre toute l’année sco- laire, il s’inscrit à la Faculté d’Histoire de l’Art et à un atelier de dessin sur le motif (semblable à l’Académie de la Grande Chaumière à Paris). A la bi- bliothèque de la faculté il découvre les reproductions en couleur des grands maîtres. A l’atelier il acquiert les bases du métier tout en se confron- tant à la réalité de la chair humaine. Il se lie d’ami- tié avec quelques compagnons d’études qui préparent le concours de l’Académie des Beaux- Arts. En automne 1954, Ljuba est reçu au concours et entame sa première an- née d’études à l’Académie des Arts Appliqués. Au début il se plie aux exi- gences de ses professeurs, mais plus le temps passe plus il a du mal avec les exercices académiques. Comprendre la forme et la rendre avec une exacti- tude naturaliste ne le satisfait pas. Il veut toucher ce qui palpite derrière les apparences et le passer au filtre de sa propre sensibilité. En observant le tra- vail aux Beaux-Arts, lui vient l’idée de proposer à ces compagnons de classe l’étude de nus à l’échelle grandeur na- ture ainsi que la peinture à l’huile. Son travail devenant très personnel il entre en conflit avec certains professeurs. Viscéralement attaché à ses choix ar- tistiques et têtu de surcroit, Ljuba n’est pas prêt à faire la moindre concession. Le point de rupture sera atteint au dé- but de la quatrième année d’études où il sera prié de quitter l’établissement. Lors de ces années passées aux Arts appliqués, il se lie d’amitié avec Živojin Pavlović qui, comme Ljuba, abandon- nera la peinture décorative pour se consacrer au cinéma et à l’écriture.
Ljuba et ses premiers travaux à l’Académie des Arts Appliqués, 1954—1955
The works done during the studies at the Aca- demy of Applied Arts, 1955
Ljuba devant l’Académie, 1956
1955, Ljuba avec ses collégues_en
Les travaux de Ljuba, 1955

1957-1959 Belgrade, Académie des Beaux-Arts

Suite à son exclusion des Arts Appli- qués, une deuxième chance lui sourit dans sa carrière de peintre. Le profes- seur Ivan Tabaković, qui apprécie son travail et qui n’est pas d’accord avec la décision de renvoi, le recommande à son collègue des Beaux-Arts, le pro- fesseur Marko Čelebonović. Alors, Lju- ba poursuit ses études dans la classe de ce grand pédagogue, qui saura le laisser suivre sa propre voie et mener à bout ses propres expériences plas- tiques. Il dispose déjà d’un espace de travail qu’il aime appeler « mon atelier » ou « la Coupole », remis en état l’année pré- cédente avec l’aide de deux de ses amis étudiants, Nikola Rudić et Miša Marti- nović. C’est une coupole qui surplombe un immeuble de cinq étages, un vaste espace de forme hexagonale, éclairé par cinq petites fenêtres, par lesquelles pénètre une étrange et dense lumière jaune. De nombreux tableaux conçus entre 1957 et 1959 portent les noms évo- quant « la coupole » ou « le grenier » : Les fantômes du grenier (1958), Nu du grenier (1958), L’image verte du gre- nier (1959), etc. Les tableaux de cette période se distinguent par la prédo- minance de la figure humaine au visage plutôt effacé, immobile, empri- sonnée dans un espace inquiétant et étouffant. La palette chromatique évolue entre le jaune et l’ombre bru- lée, avec quelques rares excursions dans les tonalités vertes et rouges. Lors de la traditionnelle exposition d’œuvres des élèves qui clôt l’année d’étude, Ljuba fait connaissance du peintre Léonid Šejka, fondateur du mou- vement Mediala. Ce personnage charis- matique, qui prônait la synthèse entre l’esprit de la renaissance et la pensée moderne, dit d’emblée à Ljuba : « tu es l’un des nôtres ». Dès l’année suivante, deux tableaux de Ljuba font partie de la troisième exposition de Mediala, qui se tient dans la galerie belgradoise Gra- fički kolektiv. Cette amitié, à forte co – loration initiatique, se terminera brus- quement en 1970, avec la mort de Šejka. En 1959, une exposition de l’art sur- réaliste, collection Urvater, est présen- tée à Belgrade. Pour la première fois, Ljuba voit des œuvres originales de Dali, Chirico, Magritte, Delvaux, Max Ernst… Il est impressionné plus qu’il n’est prêt à l’admettre. L’esprit surréaliste trans- paraîtra surtout dans ses écrits de jeu- nesse, qu’il prendra l’habitude d’appe- ler « La température du jour ».
1960,Kupola u Zagrebackoj_en
« La Coupole », premier atelier de Ljuba, Belgrade, photo de 1968
L’intérieur de La Coupole. Devant Ljuba, le tableau Le banquier et sa femme, à gauche Silence, à droite Le fleurissement, photo de 1962

1959-1963 Service militaire et fin d’études

Après avoir terminé sa cinquième et dernière année d’études aux Beaux- Arts, Ljuba décide de se perfectionner pendant deux années supplémentaires dans ce qu’on appelait à l’époque un « atelier de Maître ». Il s’inscrit chez le professeur Milo Milunović, tout en craignant de se faire étouffer par son autoritarisme. Malgré sa réputation d’intransigeance, ce professeur res- pecte les motivations profondes de Ljuba en lui prodiguant seulement des conseils d’ordre technique. L’écriture picturale de Ljuba s’enrichit alors de formes nouvelles, à la lisière de l’or- ganique, de l’architectural et du miné- ral. Les tableaux emblématiques de cette période sont Isabelle et Le ban- quier et sa femme. Au début de la première année, Lju- ba effectue un court voyage à Paris en compagnie de quelques amis étudiants. Son but est de visiter le Louvre, de se promener sur les quais de la Seine, d’arpenter les rues de Montmartre et de rencontrer Dado, un peintre de sa génération, parti de Belgrade trois ans plus tôt. Même si cet artiste singulier impressionnait Ljuba avant leur pre- mière rencontre, le fait de le voir expo- ser à Paris, à la galerie Daniel Cordier, suscite en lui l’espoir qu’un jour une re- connaissance semblable sera possible pour lui aussi. Sur les conseils du professeur Mi- lunović, il interrompt ses études après la première année pour accomplir son service militaire. Il est affecté dans un régiment d’artillerie installé dans une forteresse à Bileća, petite ville de l’ancienne république Bosnie et Herzé- govine. Très sportif, les activités mili- taires ne lui posent aucun problème. Il s’occupe également de la station radio, dessine et peint quelques tableaux qu’il ramènera à Belgrade. Parmi eux : L’ac-compagnement, L’élevage des boîtes mé- talliques et Jon Ihtem. En automne 1961, Ljuba revient à Belgrade pour reprendre le cours de Milo Milunović mais, seul dans la Cou- pole avec lui-même et ses toiles ina- chevées, il est en proie à des angoisses et des malaises qu’il maîtrise par un travail intensif. Il termine le tableau Saint Sébastien en re- maniant d’une façon radicale la composition précédente. La monochromie, signe dis- tinctif de tous ses tableaux depuis 1957, reste intacte pour l’instant. Sa fidélité à l’ombre brulée s’achèvera de manière brillante avec un tableau de très grand format, Les Pèlerins d’Emmaüs. Ap- paraîtra ensuite une étrange tonalité rose-rouge accom- pagnée d’un éclatement des formes à la limite de l’abs- traction. Sa rupture avec la réalité des choses ainsi que son insoumission aux règles de leur représentation si- gnifient en même temps l’éloignement du groupe Me- diala. Ce qu’il peindra doré- navant n’obéira à aucun sys- tème théorique. Il découvre le même état d’esprit chez Dušan Makavejev, un jeune cinéaste, avec lequel il se lie d’amitié et participe même à la réali- sation de son premier film « Parade ».
Livret militaire de Ljuba, 1er octobre 1960.
Ljuba et Miro Glavurtić, un des fondateurs du mouvement Mediala. Photo prise en 1966, pendant le tournage du film « Retour », du cinéaste Živojin Pavlović.

1963 - 1964 Arrivée à Paris et première exposition

Les sept années d’études ont été marquées par un travail régulier et un certain repli sur lui-même. Sorti du cadre universitaire Ljuba est quelque peu déboussolé. L’avenir est flou. En même temps il éprouve le besoin d’élargir ses horizons au-delà des en- jeux stylistiques qui lui étaient fami- liers. Au mois d’octobre il débarque à Paris en espérant pouvoir y gagner sa vie et s’y installer définitivement. Il n’apporte avec lui que cinq toiles rou- lées : Danaë, La floraison, Isabelle, Isti- hon, Salon de beauté. Un ami lui trouve une chambre, « pas plus grande qu’un tombeau », dans un hôtel miteux du passage des Abbesses. Grâce à une lettre de son professeur Marko Čele- bonović qui le recom- mande auprès de Ginette Signac, fille du peintre Paul Signac, il fait ses premières rencontres avec le milieu artis- tique parisien. Lors d’un vernissage à la galerie Creusevault, Ginette Si- gnac le présente à René de Solier, historien et critique d’art, passionné d’art fantastique, qui sera le premier à s’intéresser à son travail et à le défendre. C’est ce der- nier qui l’envoie chez Marcel Zerbib, propriétaire de la galerie Diderot, 145 boulevard Saint-Germain. Celui-ci lui achète les toiles apportées de Bel- grade et décide de lui assurer un reve- nu mensuel en échange des tableaux. Les mois difficiles où il a été obligé de travailler comme peintre en bâtiment pour subsister seront bientôt derrière lui. Pourtant il n’a toujours pas d’atelier. Il dessine assis sur son lit, les feuilles de papier posées sur les genoux. Pen- dant quelque temps, Ginette Signac lui prête une chambre de bonne dans son imeuble de l’île Saint-Louis où il com- mence son premier tableau parisien La multiplication du bizarre. Grace au cercle de ses nouveaux amis, il s’installe, au 11 rue Lepic, dans un atelier prêté par l’artiste américaine Ruth Francken, partie en Allemagne pour deux ans. Dans cet espace spa- cieux, bien chauffé et éclairé par une grande verrière, il se jette à corps perdu dans le travail avec une éner- gie décuplée. En mai 1964, la première exposition parisienne de Ljuba a lieu à la galerie Edouard Smith, tenu par Ar- mand Zerbib, frère de Marcel. L’insti- gateur de cette exposition était en fait René de Solier. Son nom sur le carton d’invitation, attire un public nombreux au vernissage qui se prolonge tard dans la nuit. Les tableaux de Belgrade côtoient les tableaux conçus les derniers mois : Le Petit prince, La multiplication du bizarre, Le jardin des délices, La porte du paradis… Les toiles de cette période se distinguent par une structure plus com- plexe et plus riche. Les perspectives se multiplient, les formes oscillent entre la fermeté et la dissipation dans la matière picturale. La suprématie des tonalités chaudes est rompue par l’apparition de nuances étouffées de vert et de jaune et d’un bleu froid in- tense. Depuis l’exposition de ses ta- bleaux aux yeux du public, Ljuba com- mence à rencontrer des peintres, des écrivains et des critiques d’art. Parmi eux Patrick Waldberg qui fait autorité dans le champ de la pensée surréaliste et Jacques Kermoal, écrivain et journa- liste à Paris Match, qui écrira un texte pertinent sur son œuvre. Au cours de l’année 1964, il participe également à quelques expositions col- lectives en Yougoslavie. Notamment à Zagreb, « Fantastique dans les dessins des artistes contemporains de Bel- grade », avec un catalogue préfacé par Aleksa Čelebonović. Un changement significatif intervient dans sa vie privée. Il se rapproche de la jeune architecte Nataša Jančić, qu’il a rencontrée pendant une de ses ran- données montagnardes, en hiver 1955. Il l’épousera quelques années plus tard. De cette union naîtront deux filles : Adriana (1970) et Tiana (1978).
15. 1964., Rene de Solije, istoricar umetnosti i kriticar koji se medu prvima interesovao za Ljubino slikarstvo jpeg
14a 1964., Stranice iz Ljubine sveske sa intimnim zapisima_
Page extraite du cahier de Ljuba, mars 1964
Ljuba_Natasa_Kod Dade
Ljuba et Nataša Jančić, photographiés chez le peintre Dado, à Héro-uval, 1975

1965 Atelier de Charenton

En février 1965, Ruth Francken an- nonce son retour anticipé à Paris qui oblige Ljuba à chercher un nouveau lieu de travail. Une amie de Nataša lui propose de reprendre son deux-pièces à Charenton, une petite ville tranquille de la banlieue parisienne. Coupé du cercle de ses amis qui partageaient son quotidien durant presque deux ans, il se laisse absorber par sa peinture. Sa seule distraction sont les matchs de football avec les Espagnols du quartier. Au début de l’année, une toile de grand format qui s’intitulera Requiem, occupe toute son attention. Les nouveautés formelles et chromatiques qu’il introduit finissent par provoquer en lui un réel malaise qui le pousse à déposer le tableau chez son ami peintre Bata Mihajlović. Ce geste illustre bien les rapports compliqués que Ljuba entre- tient avec ses œuvres. Un autre tableau s’avère plus facile à apprivoiser. C’est Hérania, dont le titre lui est inspiré par l’héroïne du roman de science-fiction « La sphère d’or » de l’auteur australien Earl Cox. Plus tard il dira qu’il a traité ce tableau « comme un rêve d’amour et d’immortalité ». Il termine le tableau Dieu d’illusion, commencé l’année pré- cédente et peint La Cène en réinterpré- tant la composition empruntée à Léo- nard de Vinci. Durant la même année il peint une quinzaine de tableaux de format modeste sur lesquels il peut donner libre cours à ses inventions aussi bien thé- matiques que techniques. Par exemple, le fond est exécuté a tempera ou à la gouache, tandis que les formes plus élaborées sont travaillées à l’huile.
16. 1965., Ljuba u ateljeu u Šarantonu, ispred slike Tajna večera_
Ljuba dans son atelier à Charenton, devant le tableau La Cène, 1965

1966 Montparnasse

Au cours de l’année 1966 Ljuba quitte l’atelier de Charenton et s’installe avec Nataša dans un appartement du quar- tier Montparnasse. Mais l’univers d’un lieu d’habitation est difficilement com – patible avec la création. Il le ressent comme une entrave à son travail de peintre qui a toujours été pour lui d’une importance vitale. Les tableaux de cette période sont peu nombreux, pourtant ils n’ont rien perdu de leur efficacité plastique. Il commence Lji ljana ou La voie lactée et peint en même temps Balthazar, tableau étrange dont le nom, d’après lui, n’a rien à voir avec celui que le groupe Mediala avait donné à un vagabond belgradois pour en faire un symbole de la vie libre. Mal dans sa peau il s’interroge sur le sens de la peinture. Encore une fois il éprouve le besoin de dialoguer avec les grands Maîtres. Avec son ami Arsić ils se rendent à Gand afin de voir le polyp – tyque L’agneau mystique de Jan van Eyck. Quelques mois plus tard, une visite à la National Gallery de Londres lui laissera un souvenir inoubliable : Les Ambassa- deurs de Hans Holbein. La reproduction de ce tableau, avec sa fameuse anamor- phose du crâne, symbole du lien entre les sciences occultes et l’art, ne quittera plus jamais le mur de son atelier.Marcel Zerbib organise la deuxième exposition personnelle de Ljuba, cette fois dans ses propres galeries, d’abord à Saint Germain-des-Près puis un mois plus tard à Bruxelles. Un petit livre est édité à cette occasion, avec un texte de Jacques Kermoal qui écrit : « Connaître Ljuba c’est entrer de plein pied dans un monde fantastique qui n’a d’imaginaire que notre limitation d’invention. […] Si ce monde est parfois ab- surde, c’est parce que notre manière de voir est parfois absurde ».
Ljuba avec le tableau L’Escamoteur, dédié à René de Solier, 1966
La couverture du livre publié à l’occasion de la première exposition pari- sienne, 1966
18. 1966., Ljuba u stanuateljeu u višespratnici u kvartu Monparnas, slika Sparivanje_
Ljuba dans l’appartement de la rue Léopold Robert à Montparnasse, avec le tableau Le Couplage, 1966

1967 Atelier du passage d’Odessa

Cette année, Ljuba trouve enfin un atelier qui lui convient parfaitement. En fait c’est un grenier vétuste et sale. Il lui faudra beaucoup d’heures de travail pour le rendre habitable. Ce qui a rete- nu son attention : le volume de l’espace et la verrière qui diffusait une froide lumière zénitale. Et puis, ce coin de Montparnasse a une toute autre allure que le reste du quartier. Le passage d’Odessa est fréquenté par la bohème et surtout par de jeunes comédiens de- puis que le café-théâtre du Lucernaire s’y est installé. Après plusieurs mois d’activité ré- duite Ljuba se sent à tel point envahi par l’énergie créatrice qu’il met en chantier simultanément plusieurs toiles. Il peint Isabelle quelques années plus tard, en référence au tableau Isabelle, datant de l’époque de Milo Milunović. Ce tableau témoigne, comme beaucoup d’autres, de la fragilité du corps humain mais aussi de la pérennité du langage pic- tural de Ljuba. Dans le courant de l’année, il participe à plusieurs manifes- tations officielles à Paris, An – tibes, Montrouge et Belgrade. La galerie Rive Gauche, dirigée par R. A. Augustinci, présente sous le titre « 22 peintres d’une figuration autre » les dessins et les gravures de Ljuba en compagnie des œuvres de Max Ernst, Dorothéa Tanning, Henri Michaud, Wil- fredo Lam, etc.
Ljuba avec le tableau Isabelle quelques année plus tard, 1967
Ljuba avec le tableau L’éducation de Susanne, atelier dans le passage d’Odessa, 1967

1968 Premiers grands formats

C’est une année dédiée au travail. Dans son nouvel atelier, clair et spa- cieux, Ljuba consacre des journées entières aux tableaux qu’il a commen- cés l’année précédente et à quelques autres plus récents. Il peint une toile de très grande taille, L’ange de la perversité ou le réveil des petites boîtes (195 x 250 cm), qui sera exposé au Salon de Mai à Paris et acheté plus tard par le Centre national d’art contemporain (CNAC). Le tableau dégage une très forte sensuali- té. Des formes en apesanteur, arrondies et molles, entourent la figure féminine centrale suggérant l’idée qu’un même magma originel engendre l’intégralité du monde. Au mois de mai, le chef-d’œuvre de Stanley Kubrick « 2001, L’Odyssée de l’Es-pace » sort sur les écrans. Très impres- sionné par ce monument du septième art, Ljuba commence un tableau long de trois mètres qui s’appellera « Divination ou l’hommage à Arthur Clarke et Stanley Kubrick ». Il participe à l’exposition « De l’imagi- nation » organisée par R. A. Augustinci, dans sa galerie Rive Gauche à Paris.
21. Ispred ateljea Odesa, 1970_
Ljuba devant l’escalier qui mène à son atelier, autour de 1970
22. 1968., Atelje Odesa, ekipa televizije, snimanje filma o Medijali_
Atelier du passage d’Odessa, tournage de l’émission télévisée « Culture aujourd’hui » consacrée à Mediala. Deuxième à partir de la gauche Vladimir Veličković, quatrième Ljuba Milin, dernier à droite Ljuba. Tableau La divination où Hommage à Arthur Clarke et Stanley Kubrick, Paris 1968

1969 Maison de Vrnik

Comme chaque année, Ljuba passe les mois d’été en Yougoslavie. A Valjevo il retrouve sa bande d’amis. A Belgrade il passe des heures à discuter de peinture avec Leonid Šejka. Il se rend ensuite sur l’Adriatique. La nature austère et le ciel bleu l’aident à se ressourcer, à « nettoyer son esprit ». Avec Nataša, ils achètent une maison en ruine sur la petite île de Vr- nik, située au large du Korčula. Rénovée et agrandie dans la tradition locale des anciens tailleurs de pierre, elle deviendra le lieu d’accueil estival de nombreux amis yougoslaves et français. Parmi eux : René de Solier et son épouse René Miesse, Anne Tronche et Philippe Curval (écri- vain), André Pieyre de Mandiargues et Bona de Mandiargues (peintre), Georges Fall (éditeur), Jacques Goldsmith (éditeur et fondateur de la revue Quadrum), Gor- don Sax et Ruth Hoffman (éditeurs de la monographie américaine sur Ljuba)… Ljuba dira plus tard dans une interview : « Dans ma vie, Vrnik a un arôme tout à fait particulier qui fait que je m’en souviendrai toujours avec plaisir ». A Paris il rencontre régulièrement René de Solier. Il ne parle toujours pas français, mais les deux hommes n’ont pas besoin de mots pour se comprendre et s’appré-cier. René de Solier le présente à Georges Lambrichs, romancier et directeur d’une collection aux éditions Gallimard. Le tableau Divination est terminé et exposé au Salon du Mai à Paris. Simul- tanément Ljuba travaille sur plusieurs tableaux de grande taille : Annabella ou la soif du mal, L’hibernation, La question des objets hystériques, Une leçon d’al- chimie, La ville des hommes mordus, La somnambule… En septembre, le Musée National de Valjevo organise une exposition des œuvres de Ljuba couvrant la période 1957 – 1963. En novembre, il participe à l’exposi- tion « Signes d’un renouveau surréaliste », organisée par Patrick Waldberg à la gale- rie Isy Brachot à Bruxelles. Il confie à un ami qu’il a eu quelques réticences à pro- pos de cette exposition parce que, intime- ment, il ne se considérait pas surréaliste.
23. 1968-1973., Kuća na Vrniku, snimak iz 1973. godine_
Maison sur l’île de Vrnik, photo de 1973
24. 1969.09.07., Ljuba, RaŠa, Boća_
Raša Golubović, Boško Milosavljević et Ljuba, pendant l’accrochage de l’exposition au Musée national de Valjevo, 1969

1970 Connaissances, première fille, mort du père

Au printemps Ljuba participe à une deuxième exposition organisée par Pa- trick Waldberg, titrée « Résonnances surréalistes ». Dans le texte de pré- sentation du catalogue, Waldberg écrit : « Ce n’est pas l’un des moindres mé- rites de Ljuba que de nous remettre en conscience, grâce à son art, le carac- tère sacré de ce monde de terreur ». Il termine les tableaux La question d’éternité et L’hibernation. Simultané- ment il travaille sur un grand format vertical, La création des androïdes, aux harmonies chromatiques très complexes. Anne Tronche, un des plus grands connaisseurs de l’œuvre de Ljuba, dira plus tard : « ici la couleurest devenue une syntaxe. Elle unit ou rapproche les termes séparés de la composition ». Il peint également Glo- ria. Placée au milieu de la scène, une apparition féminine évanescente et lai- teuse inonde de sa douce lumière une multitude d’éléments allongées et cris- tallins. Ljuba fait la connaissance d’Alain Jouffroy qui anime en compagnie de Jean-Clarence Lambert, une revue de combat pour la jeune expression plas- tique : « Opus international ». Cette an- née-là, le comité de rédaction prépare un numéro spécial consacré à la You- goslavie. Jouffroy écrit à cette occasion un article dans lequel il réunit Ljuba et Dado sous le titre « De Dado-la-guerre à Ljuba-la-paix ». Durant l’été il fait un court voyage à Florence qui, pour des raisons per- sonnelles, lui laisse un souvenir douloureux. Il notera dans son journal : « Encore aujourd’hui, lorsque je songe à Florence, le souvenir me trahit et je ne parviens pas à en dresser une image convaincante. Je vois une ville dorée aussi étrangère à mon univers familier qu’une autre planète ». Au mois de mai naît la première fille de Ljuba, Adriana. A l’automne il fait la connaissance de Thessa Herold qui avait inauguré sa galerie quelques mois auparavant. Bientôt, une longue et fructueuse collaboration va naître. Elle ne sera interrompue qu’avec la mort de Ljuba, quarante-six ans plus tard. Au mois de septembre meurt le père de Ljuba. Au mois de décembre meurt son précieux et irremplaçable ami Leo- nid Šejka.
26. 1974., Ljuba i Tesa Erold, Njujork, Central park_
Ljuba et Thessa Herold à Central Park, New York, 1974
25. 1966., Ljuba i Leonid Šejka iz vremena snimanja filma Povratak_
Ljuba et Leonid Šej- ka (avec la cigarette), pendant le tournage du film « Le retour », du réalisateur Živojin Pavlović, 1966

1971 Première monographie

Le cycle de la « peinture cosmique », annoncé l’année précédente par La création des androïdes et la mise en chantier d’un grand format horizon- tal intitulé Naissance de l’homme cos- mique, s’enrichit. Dans la même veine Ljuba peint Par-delà la porte des étoiles et L’échèle de l’infini. Il abandonne progressivement la peinture de huis clos, concentrée sur un personnage ou deux dans un espace confiné, au profit de scènes de présentation plus vastes. L’écriture picturale est de plus en plus souple et fluide. Porteuses de lumière et d’énergie, les formes s’al- lègent de leur poids matériel, comme en témoigne Une chambre à Florence, tableau très intimiste, d’une sensibilité troublante. En octobre, la galerie Isy Brachot de Bruxelles organise une exposition personnelle de Ljuba. Trente-six ta- bleaux couvrant la période 1967 – 1970 y sont présentés. Le texte du catalogue est écrit par René de Solier. Fervent amateur de l’œuvre de Ljuba, il écrit en secret un autre texte qui sera bien- tôt publié sous forme de monographie. L’ouvrage, édité au Musée de Poche, sortira au mois de décembre. C’est la première monographie d’un peintre yougoslave jamais sortie en France. A cette occasion, Thessa Herold ex- pose dans sa galerie (Galerie de Seine) quatre tableaux de grands formats, remarqués par historien de l’art Anne Tronche qui exprime ouvertement son enthousiasme. Quelques années plus tard, à l’initiative de Thessa et Jacques Herold, elle écrira un important texte sur Ljuba pour la monographie éditée par Gordon Sacks à New York. Le collectionneur et écrivain Jean Davray découvre l’œuvre de Ljuba et devient un acheteur et un défenseur fi- dèle. Grâce à son soutien financier, la cote des tableaux de Ljuba commence à monter sur le marché de l’art. L’ambassadeur de Yougoslavie Ivo Vejvoda organise dans sa résidence pa- risienne une réception à laquelle il in- vite Ljuba et Salvador Dali. Lors de leur rencontre, les deux peintres discutent surtout de leur expérience respective dans l’emploi des couleurs.
Couverture de la première monographie de Ljuba en France
Ljuba, Ivo Vejvoda l’Ambassadeur de Yo- ugoslavie et Salvador Dali, réception à la résidence de l’ambassadeur, 1971
27. 1971, Solije, Nataša, Goldšmit, Bruxelles_
Exposition à Bruxelles, Jacques Goldschmidt, Nataša Jančić, René de Solier, 1971.

1972 Percée de l’érotisme

Les tableaux de cette année se dis- tinguent surtout par une très forte per- cée de l’érotisme. Le corps féminin au sexe exhibé est mis en avant sur Vénus et la mort, Sabra ou l’Hommage à ma- dame Robin, La ville des hommes perdus et quelques autres. Pourtant Ljuba conti- nue à refuser catégoriquement toute évi- dence figurative et tout récit qui l’accom – pagne. La recherche purement formelle reste au centre de ses préoccupations. « Le seul vrai sujet de sa peinture a tou- jours été la peinture elle-même » dira-t- il dans une interview, vingt ans plus tard. En février, suite aux recommandations de René de Solier, André Pieyre de Man- diargues visite l’atelier de Ljuba. Entre l’écrivain surréaliste et le peintre, une étrange complicité s’établit immédiate- ment. En mai et juin, vingt-trois tableaux de Ljuba, réalisés entre 1970 et 1972, sont exposés à la Galerie de Seine, avec un catalogue préfacé par André Pieyre de Mandiargues et René Etiemble. Mandiar- gues écrit : « Artistes de tête ou artistes de main, les peintres se divisent aussi en hommes de main chaude et en hommes de main froide, ce qui met en franche opposition, cette fois, Ljuba et Dali, dont la glaciale habileté n’a rien en commun avec la manière fervente qui sur les toiles du premier se donne libre cours ». Par l’intermédiaire du comte Guy de Lahoussaye, Ljuba fait la connaissance du galeriste américain Julien Aberbach, qui l’exposera deux ans plus tard. Au cours de l’année il participe à plu- sieurs expositions collectives à Paris, Bruxelles et Skopje.Pendant son séjour estival à Valje- vo, Ljuba rencontre Slavica Batos, jeune bachelière et future étudiante en archi- tecture. Une dizaine d’années plus tard elle deviendra sa compagne, puis sa deuxième femme. De leur union naîtra un garçon en 1989 qui, selon la tradition serbe, recevra le nom de son grand-père paternel, Aleksa Popović.
30. 1972., Ljuba i Andre Pjer de Mandijarg_AP_
Ljuba et André Pieyre de Mandiargues
31. 1972., Ljuba i Slavica 1977
Ljuba et Slavica Batos, photographié par Vican Vicanović, 1977

1973 Maîtrise du métier

Ljuba qui ne vit véritablement qu’à travers la peinture continue à décou- vrir ce qui s’agite sous la surface de sa conscience, en interrogeant la matière picturale. L’espace se tord sur les toiles, les visions s’entremêlent, les formes se plient aux diverses approches ocu- laires. En témoigne surtout le tableau Florence ou la naissance de la mélancolie, commencé en 1972 et terminé l’année suivante, mais aussi Le coucher du soleil ou le complexe de Lilith, avec le même décentrement du regard. Sur un très important tableau de cette période, in- titulé La prière ou la clé de l’univers, il est évident que ces distorsions calculées des perspectives vont de pair avec une parfaite maîtrise du métier. La Galerie de Seine organise l’ex- position « Collection fantôme » dont le but est d’expliquer la vitalité de la peinture surréaliste, jusqu’à cette an- née 1973. Le choix des tableaux et le texte de présentation du catalogue est confié à Philippe Soupault, cofondateur du mouvement surréaliste avec André Breton. Le tableau de Ljuba Le lot et lotus est présenté avec des œuvres de Brauner, Camacho, Dominguez, Ernst, Klee, Tanguy, Miro, Picabia… Durant cette année, Ljuba participe aux expositions collectives à Paris, Bruxelles, Belgrade et dans plusieurs villes d’Italie dans le cadre de l’exposi- tion « Surréalisme encore et toujours » organisée par Patrick Waldberg.

1974 Exposition à New York

A l’initiative de Thessa Herold, Alain Bosquet, poète et écrivain français d’ori- gine russe, écrit le texte pour une mono- graphie sur Ljuba publiée aux Éditions de la Connaissance, Bruxelles. C’est la première monographie d’une collection qui se propose de faire mieux connaître les artistes qui se sont révélés depuis 1945. Elle est dirigée par Jacques Gold- smith, le créateur de la revue Quadrum. La signature du livre a lieu à la Galerie de Seine avec la présentation de huit ta- bleaux. La même exposition, complétée de dix nouvelles toiles, est présentée au mois de septembre à la galerie Aberbach Fine Arts, à New York. Malgré la césure radicale de langage avec les courants esthé- tiques de l’époque, l’exposition connaît un réel succès. Le public manifeste avec beaucoup de spontanéité son in- térêt pour les grands formats : Le corps temporel, L’atelier, Le jour et la nuit… Le catalogue est préfacé par Sam Hunter, historien américain de l’art moderne, et par René de Solier. Exceptionnellement, Ljuba fait figurer dans le catalogue, ses propres commentaires des œuvres pré- sentées. Il reste à New York plusieurs semaines, en passant son temps à va- gabonder, à explorer les galeries et à vi- siter les musées. Il ne peint pas, laissant désespérément vide l’atelier qu’Aber- bach a loué pour lui. Michel Lancelot réalise un film sur Ljuba pour la télévision française dans le cadre de la série d’émissions « Les peintres de notre temps ». Pendant le tournage, Ljuba en- treprend l’exécution du tableau La beauté du diable. Au mois de no- vembre, peu de temps après son retour à Pa- ris, la mort de René de Solier le frappe dou- loureusement. Cette année-là Lju- ba acquiert la nationa- lité française.
32. 1973., Ljuba u toku rada na slici Molitva ili ključ univerzuma_
Ljuba pendant le travail sur le tableau La prière ou La clé de l’univers, 1973

1975 Derniers jours de l’atelier du passage d’Odessa

Depuis la modernisation de la gare Montparnasse et l’édification de la tour haute de plus de 200 mètres, le passage d’Odessa est voué lui aussi à la reconstruction. Ljuba est obligé de quitter son atelier. Cette pensée le rend malade d’inquiétude. Le nombre de tableaux réalisés est inférieur à la production des années précédentes, mais la puissance créatrice reste intacte. Il peint deux grands formats, La réincarnation (dédié à René de Solier) et La Conscience Cosmique, où les repères architecturaux se perdent au pro- fit d’un espace plus déstructuré, plus fuyant. On note l’apparition de grands ciels tourmentés. Deux autres grands tableaux, La belle de jour et La domp- teuse et les esprits sont mis en chantier. Un curieux tableau, intitulé La répul- sion (K.E.C.), témoigne de la façon dont s’opère la fusion entre les souvenirs personnels et les spectres d’une mé- moire plus ancestrale. Petar Nedeljković réalise un film sur Ljuba pour la télévision de Belgrade. Sept gravures originales de Ljuba accompagnées du texte de Jean-Cla- rence Lambert « Les plaisirs difficiles » paraissent aux éditions Pierre Belfond, dans la collection de prestige « Les ca- hiers du regard ». Anne Tronche commence l’élabora- tion d’un livre qui doit rendre compte de toute l’œuvre peinte de Ljuba. Il fait connaissance de Jean-Louis Ferrier, professeur aux Arts décoratifs et critique d’art. Le psychanalyste Jacques Lacan visite l’atelier de Ljuba.
Couverture du catalogue de l’exposition à New York, 1974
Ljuba et Alain Bosquet lors de la signature de la monographie, 1974
36. 1975., Ljuba i An Tronš u vreme rada na monografiji_
Ljuba et Anne Tronche à Vrnik, pendant l’écriture de la monographie, 1976
35. 1975., Kod Dada Đurića u Eruvalu_
Chez Dado Đurić à Hérouval, 1975. De gauche à droite : Ljuba, réalisateur Michel Random, éditeur Pierre Belfond, peintre Jacques Hérold et Dado.

1976 Anamorphoses et hommage à Goya

En février Ljuba visite l’exposition « Anamorphoses » aux Musée des Arts Décoratifs à Paris. Ce genre de peinture qu’on pourrait décrire approximative- ment comme le reflet d’un objet dans un miroir courbe, pose dès la Renais- sance la question de l’apparence et de la réalité. Inspiré par l’exposition Ljuba peint Le cri, prouvant qu’un peintre mo- derne est aussi susceptible de s’y inté- resser. Il fait son premier voyage en Espagne. Il visite, Barcelone, Cadaquès, Valence, Madrid et son musée du Prado. Il est fortement impressionné par le tableau de Goya Saint François exorcisant un mo- ribond démoniaque. De retour à Paris il peint Le printemps (Hommage à Goya), imprimant à son souvenir une dimen- sion érotique.Il expose à la Galerie de Seine des dessins et lavis, en dévoilant dans le catalogue quelque uns de ses propres écrits, tirés des carnets « Température du jour ». Il participe à l’exposition « Les es- paces insolites » organisée à Stras- bourg par le poète et critique d’art Jean-Dominique Rey, avec Botero, Dado, Chavez, Veličković et Cremonini. Au cours de l’été, André Pieyre de Mandiargues, sa femme et sa fille viennent séjourner un mois à Vrnik. Lui et Ljuba passent du temps à se dé- tendre et à parler dans une atmosphère amicale et familiale. A son retour à Pa- ris, Mandiargues écrira le poème « Ode à Ljuba », avec quelques impressions sur Vrnik. Le poème sera publié dans La Nouvelle Revue Française, numéro de septembre 1977. Il s’installe dans un nouvel atelier, rue du Val de Grâce, où il achève La belle de jour et La dompteuse.
Ljuba dans son nouvel atelier de la rue du Val de Grâce, 1976
Ljuba devant le tableau Le Prin- temps (hommage à Goya), 1976

1977 La mise en œuvre du trip- tyque et le voyage en Israël

Ljuba travaille sur plusieurs grands formats en vue d’une exposition à la galerie Beaubourg, prévue pour l’an- née suivante. Il termine La terre (Moly) et L’ange déchu et commence le tableau Paradis perdu qui deviendra Désir II. Dans son cahier il note l’apparition des tonalités bleues et mauves, « glaciales et douces comme une couverture de la mort ». Il met en œuvre un tableau de très grand format (260 x 400 cm) qui, une fois achevé, deviendra Hommage à Sir James Georges Frazer. Au cours d’un voyage en Israël, il visite le Mont Sinaï et le monastère Sainte-Catherine. Il est impressionné par les nuances des couleurs du désert de Sinaï « entre le rouge, le rose froid et le gris ». Philippe Prince réalise pour la télévi- sion française un film sur Ljuba intitu – lé « Métamorphoses ». Le texte d’Alain Bosquet sert de lien poétique aux ta- bleaux. Le film ne sera jamais diffusé à cause d’un différend entre ce dernier et la maison Gallimard concernant les droits d’auteur.
39. 1977, Ljuba ispred slika Omaž Dž. Dž. Frezeru i Blud_
Ljuba devant les tableaux Hommage à Sir James George Frazer et Débauche (hommage à Laocoon), 1977

1978 « L’amour-monstre », seconde fille

Au mois de février Ljuba expose onze grands formats à la Galerie Beaubourg, tenue par Pierre et Marianne Nahon. L’au- teur du texte pour le catalogue est Anne Tronche. A la vue de l’ensemble de ses ta- bleaux il éprouve un malaise « devant un tel degré de dévoilement ». Avant l’été il expose à la Fondation Veranneman (Kruishoutem, Belgique) vingt-cinq grands formats. Le texte du ca- talogue est écrit par Alain Bosquet. Pour cette occasion il exécute aussi deux séries de petits formats : Dix petits cauchemars et Les cavernes de l’inconscient. Il fait la connaissance d’Anatole Dau- man, fondateur et président de la société de production « Argos films ». A l’initiative de ce dernier, le cinéaste Walerian Bo- rovczyk réalise un film de quinze minutes « Amour-monstre ». Durant le tournage Ljuba entreprend les tableaux Le loup-ga- rou et Le printemps. Svemir Pavić réalise le film « Ljuba par lui-même ». Certaines séquences du film sont tournées lors du vernissage de l’exposition à la Galerie Beaubourg, les autres sont filmées à Vrnik, pendant l’été. La maison d’édition Pierre Belfond pu- blie une monographie de l’œuvre de Lju- ba accompagnée de textes de plusieurs auteurs, sous la direction de Jean-Louis Ferrier. Vers la fin de l’année sort le livre de Bal- trušaitis « Le miroir ». Ljuba note la coïn- cidence entre le contenu du livre et ses propres tendances à fragmenter l’espace en multiples reflets et à créer des univers doubles où se mêlent l’illusion et la réalité. Dans les années qui suivront, plusieurs « tableaux aux miroirs » naitront sous son pinceau. Au mois de mai, naît la seconde fille de Ljuba, Tiana.
Ljuba et Jean-Louis Ferrier
Couverture de la monographie « Ljuba » publié chez Pierre Belfond.

1979 Un triptyque remplace l’autre

Les trois tableaux de grands formats qui devaient constituer un triptyque intitulé Paradis perdu, sont séparés et partent dans trois directions diffé- rentes. Dorénavant ils s’appelleront Désir I, Désir II et Désir III. En revanche, trois autres tableaux sont réunis en triptyque Hommage à Sir James Georges Frazer, qui est destiné à la grande salle du Centre de Congrès Sava, à Belgrade. Une fois sur place, les tableaux seront partiellement repeints, dans le but de former une unité cohérente.En même temps, Ljuba peint les ta- bleaux L’abîme pour le corps, La femme de nuit et le diptyque Miroir I et Miroir II. La Galerie de Seine consacre à Ljuba la totalité de son stand à la FIAC, au Grand Palais. Six tableaux récents de grands formats sont exposés, par- mi lesquels Le baiser de la mort, dédié au galeriste Alexandre Braumüller qui s’est suicidé en se jetant dans la Seine. Braumüller était celui qui a présenté Ljuba à son plus grand collectionneur de l’époque Jean Davray. Michel Lancelot organise l’exposi- tion « Le musée volé » dans les gale- ries Isy Brachot et Galerie de Seine, à Paris. Les tableaux de Ljuba L’iceberg et La nostalgie doublée sont présentés avec les œuvres de Botero, Camacho, de Chirico, Dado, Delvaux, Magritte… Le film de Walerian Borowczyk « L’amour-monstre » est projeté en pre- mière partie du film « Le tambour » de Volker Schlöndorff dans des salles de cinéma parisiennes. La revue d’art et architecture « Ci- maise » publie un article sur Ljuba, avec un texte d’Anne Tronche et plu- sieurs reproductions. Dans le magazine de l’image « Zoom » sort une interview de Ljuba réalisée par Isaure de Saint Pierre, accompagnée de reproductions en couleur. La revue « Opus interna- tional » consacre également plusieurs pages à Ljuba. Le texte est écrit par Henri-Alexis Baatsch. Au mois de février meurt la mère de Ljuba.
42. 1979. Ljuba i Valerijan Borovščik, 1977_
Ljuba et Walerian Borowczik pendant le tour- nage du film « L’Amour-monstre »
43. 1979., FIAC_
Le stand de la Galerie de Seine à la FIAC, 1979

1980 Le bleu glacé

Ljuba exécute trois tableaux dans une tonalité nouvelle de bleu-glacé : L’époque glaciale, Trois points et La montagne du désir. Il considère qu’ils ont germé à partir d’un carré bleu- froid apparu pour la première fois dans L’abîme pour le corps de l’année précé- dente. Les « cristaux de glace » sont aussi très présents sur la toile Cruci- fiction, qu’il commence en pressentant les difficultés dans son exécution. Pour bien rendre la tension du corps crucifié, il le peint dans une position horizontale, avec l’idée de convulsions hystériques, avant de le redresser. Il participe à New York à une expo- sition ambitieuse organisée par Pierre Cardin dont le titre est : « Les tendances européennes dans l’art moderne, cent tableaux de 1950 à 1980 ». L’auteur de l’exposition est l’écrivain et critique d’art André Parinaud. Ljuba expose Les jeux de l’amour et de la mort, exécuté en 1970 – 1971 appartenant à Jean Davray.
44a. 1981., Izložba kod Pjera Kardena_
Nataša Jančić, Anne Tronche et Ljuba photograp- hiés à l’exposition personnelle de Ljuba chez Pierre Cardin, New York, 1981
44. 1980., Ispred ledenih slika_
Ljuba dans son atelier devant les tableaux de la « phase glaciale », 1980

1981 La Crucifiction

Ljuba termine un de ses tableaux les plus importants La Crucifiction. Il note : « Ce tableau est la paix et le tourment, la douleur des précipices mauves, la tension hystérique de l’homme, les bri- sures de mes plus belles illusions ». Au début de l’année, une exposition d’aquarelles et de lavis est organisée dans la galerie parisienne Isy Brachot. Le catalogue préfacé par Michel Lan- celot comporte aussi un texte de Ljuba sur ce qu’est une aquarelle. A Pérouges, dans le sud de la France, Ljuba expose 27 tableaux de différents formats, de la période 1976 – 1981. Cette même expo- sition est présentée, au mois d’octobre, dans l’espace « Pierre Cardin Evolution », à New York. Gordon Sacks, l’éditeur new-yorkais publie à l’initiative et avec le soutien de Thessa Herold, une importante monographie en anglais, dont le texte est écrit par Anne Tronche. La mono- graphie est enrichie par un catalogue raisonné de l’ensemble des œuvres peintes de Ljuba. L’ouvrage a été pré- senté chez Pierre Cardin, lors de l’ex- position mentionnée plus haut. Le magazine « Vogue-homme » pu- blie, dans son numéro de mai, un ar- ticle sur Ljuba, avec un texte d’Isaure de Saint Pierre et des photographies d’Alberto dell Orto. Le magazine alle- mand « Die Kunst » publie, dans le nu- méro de juin, le texte de Gustav René Hocke sur Ljuba, accompagné de sept reproductions en couleur pleine page. Le même magazine publie le texte avec des reproductions dans un livre intitulé « Malerwelt ab 1900 ». La revue litté- raire yougoslave « Gradac » consacre un numéro double (42 – 43) à l’œuvre de Ljuba. Les textes de plusieurs auteurs sont accompagnés de reproductions en noir et blanc. Écrivain et documentariste Jean-Marie Drot réalise une émission télévisée d’une heure sur Ljuba, dans la série « L’art et les hommes ». Le film est tourné à Paris, à Vrnik et au monastère Morača. Une émission télévisée ani- mée par Boro Krivokapić est réalisée à Belgrade. La grande « Encyclopédie de la sexualité », en huit volumes, consacre cinq pages à Ljuba. Le texte d’Isaure de Saint Pierre est accompagné de cinq reproductions. Commencement de collaboration avec le galeriste belgradois Čedomir Edrenić.
45. 1981., Ljuba i Žan Mari Dro_
Ljuba et Jean-Marie Drot lors du tournage pour la télévision française, 1981
46. 1981, Alberto 3_
Séance de prise de vue pour Vogue. Atelier du Val de Grace, 1981

1982 De L’île de mort à L’extase

Achèvement des tableaux commencés l’année précédente, sur lesquels Ljuba continue d’explorer le thème de dédou- blement de l’espace à travers des sur- faces transparentes ou réfléchissantes. Ils sont intitulés Les cages d’amour I et Les cages d’amour II. Le tableau imaginé comme un hommage à Böcklin, avec une île sombre dans la partie supérieure, se transforme en tableau d’un érotisme dé- bridé – L’extase. Le tableau La femme de nuit, commen- cé en 1979, qui a subi plusieurs change- ments radicaux, est acheté par André Serval et exposé au Grand Palais dans « Le cabinet d’un collectionneur ». La Galerie Marion Meyer présente, en octobre et novembre, une mini-rétros- pective de dessins, d’aquarelles et de ta- bleaux, de la période de 1958 à 1982. La Galerie de Seine cesse son activi- té, après douze ans d’expositions. Thessa Herold, engagée par l’Oréal, prend la di- rection de la galerie Artcurial.
47. 1982., Ljuba u ateljeu Val de Gras_
Ljuba dans son atelier du Val de Grace, 1982

1983 Premier grand paysage

Ljuba termine trois grands formats verticaux (195 x 160 cm), commencés en 1982. Après beaucoup d’hésitations, ils porteront les titres Sodomie et Gomorrhe, Le secret de la mémoire et La Tentatrice. Ce dernier tableau était une commande d’André Serval qui souhaitait un format trapézoïdal. Au cours de son exécution, Ljuba décide de garder la forme rec- tangulaire du châssis d’origine et de re- noncer à cette commande. Il achève un étrange tableau, avec un personnage bi- sexuel, commencé pendant l’été de l’an- née précédente, à Vrnik, intitulé Double face de Saturne. Ljuba peint L’étouffement (Hara-kiri ou Hommage à Mishima), dont les tonalités « froides et métalliques » le surprennent et le déconcertent. Il commence son pre- mier grand paysage, « longtemps atten- du et désiré », avec un corps de femme nue tout au long de la partie inférieure du tableau. Très vite, le corps est recouvert par une multitude de petits objets (des rochers, des fruits, des fleurs…). Le ta – bleau sera intitulé Le lieu de l’enterrement. Au mois d’août, le galeriste belgradois Čedomir Edrenić organise une exposition d’aquarelles et de lavis, exécutés entre 1980 et 1983. L’exposition a lieu à la Gale- rie moderne, à Budva, Monténégro. Ljuba rencontre Etienne Chaton, conservateur des monuments histo- riques de Fribourg, Suisse. Celui-ci lui passe la commande d’un carton pour le vitrail de l’église St Pierre de Carignan, aux environs de Fribourg sur le thème de la crucifixion. Il commence à écrire des articles sur l’art pour l’hebdomadaire NIN en signant V. Pop-Ljubojević.
48. 1983., Postavljanje slike Mesto sahrane, 1986._
Ljuba devant la maquette du vitrail de St Pierre de Carignan, 1983
49. 1983., Ispred skica za Vitraž_
Ljuba in his studio, standing next to his design for a stained-glass window for the church of Saint Peter Carignan near Fribourg, 1983

1984 « L’homme ne sera jamais Dieu »

Importante exposition personnelle à la Fondation Veranneman, en Bel- gique. Les tableaux couvrant la pé- riode de 1979 à 1984 sont réunis dans trois salles hexagonales. Le texte du catalogue est d’Isaure de Saint-Pierre. Elle écrit : « Rien de statique dans la peinture de Ljuba mais un mouvement vers le ciel ou les enfers, on ne sait. De même, il ne célèbre pas l’amour heu- reux ou la création satisfaite, mais le vertige amoureux de celui qui souffre de ne posséder le corps aimé, qui pleure la différence marquant les êtres. L’homme, jamais, ne sera un Dieu. Lui- même se condamne à reconstruire son enfer et à choisir les tumultes et les fu- ries ». Le tableau érotique La bague byzan- tine, peint cette année, est présenté à l’exposition collective « Art, or et bijoux » à l’espace Vendôme à Paris. Par l’intermédiaire de Jean-Louis Ferrier, Ljuba fait connaissance de Jur- gis Baltrušaitis, qui lui rend visite dans son atelier.
51. 1984., Ljuba i Emil Veraneman_
Ljuba et Emil Veranneman, Kruishoutem, 1984

1985 L’eau, les forêts, les monstres volants

Le tableau Le lieu d’enterrement, qui a demandé presque trois ans de travail et de réflexion, est terminé. Ljuba peint La Lionne, avec le corps d’une femme nue, véritable pont qui relie les deux rives d’un paysage aquatique. Cette année l’eau fait une grande entrée dans la peinture de Ljuba. Elle occupe également une grande partie du tableau Le premier pas d’Adam. Les figures humaines sur ce tableau sont minuscules, ce qui donne à l’espace une impression d’immensité. On trouve les mêmes proportions sur la grande com- position onirique Le prisonnier de Fribourg. Ce tableau est annonciateur de futures architectures fantastiques, sources d’eau, forêts, cavernes, brumes, monstres vo- lants… Jurgis Baltrušaitis publie, dans la nou- velle édition d’« Anamorphoses – perspectives dépravées », trois tableaux de Lju- ba : Ingrid, Le Cri et Le Paysage ainsi qu’un petit texte prove- nant de ses cahiers « Température du jour ». Au mois de no- vembre, voyage en Yougoslavie, pour l’inauguration de la Galerie Moderne Val- jevo dont les fonda- teurs sont, Slobodan Đukić, Dušan Mihajlo- vić et Ljuba lui-même. La galerie com- mence son ac- tivité avec une exposition consa- crée à la pé- riode belgradoise de Ljuba.
Catalogue de l’exposition à la fondation Veraneman, Extase, 1984
52. 1985., Katalog izložbe u Valjevu_
Catalogue de l’exposition à Valjevo, 1985
53. 1986., Ispred Moderne galerije Valjevo
Groupe d’amis devant la Galerie Moderne, Valjevo. De haut en bas : Đorđe Bukilica, Slobodan Golubović Leman, di- recteur de la galerie Dragutin Radojčić, Danica Đukić, Dušan Mihajlović, Slobodan Đukić, Ljuba Popović, Miki Manojlović, Slavica Batos, Iskra Manojlović, Živojin Pavlović, 1986.

1986 Douceur et sensualité

Achèvement du tableau de grand for- mat Les Tentations, commencé l’année précédente. Contraste entre la délica- tesse d’une figure féminine et d’un ciel plein de menaces. Ljuba continue à peindre les paysages avec de grandes chutes d’eau. Les corps féminins in- carnent tous la douceur et la sensua- lité. Les tableaux les plus significatifs de cette période sont : L’inquiétude au- tour de la grande source, Sous le signe du serpent, L’étude de la douceur, La chute d’eau, L’eau fraîche du château maudit, L’écroulement dans le temps… Une exposition importante est organisée à la Galerie Richter & Masset, à Munich. La préface du catalogue est de Gustave René Hocke. Le magazine « Penthouse » publie, au mois de novembre, seize reproduc- tions de tableaux de Ljuba avec le texte d’Isaure de Saint-Pierre « Le roman- tisme noir ». La collection de Jean Davray est ven- due à l’Hôtel Drouot, à Paris. Michel Poux, le futur grand collectionneur des œuvres de Ljuba achète Naissance de l’homme cosmique. Séparé de sa première femme, Ljuba commence sa vie commune avec Slavica Batos. Voyage à Amsterdam à la fin du mois de décembre.
54. 1986., Stranice iz Penthausa_
Deux premières pages de l’article de Penthouse. Sodomie et Gomorrhe et L’inquiétude autour de la grande source, 1986

1987 Les enfants de l’enfer

Ljuba continue à explorer le thème du paysage fantastique avec parfois un corps féminin peint au premier plan. La première ébauche d’un grand format horizontal, qu’il décrit comme « un nouveau cri chromatique », le surprend. Ce tableau, qu’il n’achèvera qu’en 1990, sera intitulé Le cri du corps rose. Sur commande d’Anatole Dauman il commence un grand paysage mais très vite il a le sentiment de se répéter. Il peint alors un ange noir au milieu du tableau, persuadé que Dauman ne l’ai- mera pas, d’autant plus que le tableau s’appelle Les enfants de l’enfer. Dauman l’achète quand même et le gardera dans sa salle à manger jusqu’à sa mort en 1998. D’autres tableaux importants sont : Sous le signe de la croix, Le feu dans un pavillon d’amour (un des rares qui n’a pas une dominante bleue) et Pu- rification dont le format inhabituel (138 x 190 cm) s’explique par le fait qu’il est peint sur un vieux châssis d’un tableau de 1959, dont la toile démontée avait été envoyée à la Galerie Moderne Valjevo. Dans son numéro de mars-avril-mai 1987, la revue « Cimaise » publie sur vingt pages, l’essai de Jean-Louis Ferrier sur Ljuba « Vers le troisième millénaire ». Le texte est accompagné de vingt repro- ductions en noir et blanc et en couleur, couvrant la période 1978 – 1986. Le tableau Blessure est présenté à l’ex- position internationale « Surrealism », à Retretti Art Centre en Finlande. Ljuba se rend à Fribourg pour termi- ner le travail sur le vitrail « Crucifixion ».
55. 1987., Ljuba u ateljeu Vaj de Gras_
Ljuba dans son atelier du Val de Grace, entouré de tableaux, Les tentations, Le romantisme après la pluie II, Le cri du corps rose et Nocturne.

1988 La fiction de la crucifixion

Deux grands formats commencés au mois de dé- cembre l’année précédente, avec des éléments picturaux plus ou moins connus et maîtrisés, progressent sans trop d’obstacles. Une fois achevés ils porteront les titres Le labyrinthe d’apocalypse et Les tentations, après. En souvenir d’une plage sur l’île de Jakljan où il passait les mois d’été, Ljuba peint Le paysage hystérique, dont le titre initial était La nature menacée. Sur le tableau La guillotine oubliée, qui d’après lui évoque « la froideur et l’in- différence des paysages du XVIIème siècle », il s’efforce de créer « un rythme, un mouvement intérieur, qui inciterait le spectateur à lire le tableau comme un livre ». Avec le tableau Le retour d’Ulysse ou Le naufrage d’un paysage idyllique, Lju- ba participe à l’exposition collective « Méditerranée, sources et formes du XXème siècle » à la galerie Artcurial, alors dirigée par Thessa Herold. Le tableau Crucifiction est présenté à l’exposition « La passion du Christ » au Musée d’Art Contemporain de Dun- kerque. Ce n’est qu’à cette occasion qu’on attire l’attention de Ljuba sur la faute d’orthographe dans le titre du tableau qui confère à la cruci- fixion du Christ une aura de fiction. Les maisons d’éditions Albin Michel de Paris et Prosveta de Belgrade pu- blient respectivement les versions française et serbe de la monographie « Ljuba » avec le texte d’Anne Tronche, écrit en 1981 pour Alpine Fine Arts à New York.
Couverture de la version française de la monographie « Ljuba »
Ljuba au travail sur Crucifiction en 1981

1989 Atelier de Jakljan, naissance du fils

La série des tableaux autour du thème « l’eau et les corps » s’enrichit. Ljuba peint trois toiles au même format : La révélation de la vérité ou Les amants cachés, Le retour d’un personnage du passé et Évaporation vénéneuse. Il les décrit comme « un mélange de douceur et d’inquiétude » ou comme « l’idylle romantique menacée par les batte- ments de la peur ». Il pose les premiers coups de pinceau sur une très grande toile, clouée au mur. Le titre provisoire est « La lumière blanche de la mort ». Il note dans son cahier : « la tragédie de la disparition dans une lumière blanche, dévorante, immatérielle et puissante ». Terminé en 1990, le tableau s’appellera L’énigme de la création. L’écrivain Serge Fauchereau en col- laboration avec Philippe Soupault, or- ganise à Montreuil l’exposition « Voya- geur magnétique », accompagné d’un important catalogue. Ljuba y expose Sous le signe de la croix. Il passe le mois de juin sur l’île de Jakl- jan, au large de Dubrovnik, où il signe le contrat pour la construction d’un atelier. André Serval, un des plus importants collectionneurs des œuvres de Ljuba meurt cet été-là. Au mois d’octobre meurt son ami, l’écrivain Danilo Kiš. Au mois de juillet naît le fils de Lju – ba, Aleksa. La veille de la naissance du garçon, il termine le tableau Révélation de la vérité ou Les amants cachés.
58. 1989., Početak slike Enigma kreacije_
Ljuba devant la première ébauche de L’énigme de la création

1990 Le diable est dans le détail

Ljuba finalise les tableaux de grands formats mis en œuvre au cours des deux années précédentes : Le cri du corps rose, L’énigme de la création, Les Grottes du diable et La transparence après le corps. Inspirée par une idée de Ljuba, Thes- sa Herold organise l’exposition « Bel- védère Mandiargues » à la galerie Art- curial, pour célébrer les quatre-vingts ans d’André Pieyre de Mandiargues. Ljuba y est présent avec les tableaux L’Atelier (1974) et L’énigme de la création. José Pierre écrit le texte pour le cata- logue. Ljuba passe les mois de juin, juillet et août dans son nouvel atelier à Jakl- jan avec Slavica et Aleksa. Il note dans son cahier : « J’ai trouvé l’équilibre du corps et de l’esprit. Si jamais il y a eu dans toute ma vie un temps de bonheur c’était celui que j’ai vécu pendant l’été 1990 à Jakljan ». Durant cet été il peint plusieurs tableaux, dont ceux qu’il va exposer à la FIAC, en automne. Au mois d’octobre, lors de la FIAC, l’éditeur et galeriste Michel Delorme consacre à Ljuba l’intégralité de son stand. A la vue de ses tableaux sous l’intense lumière blanche du Grand Pa- lais, Ljuba constate qu’à l’avenir il va falloir travailler sur « l’enrichissement du tissu », et ne négliger aucun détail. Exposition à l’occasion du cinquième anniversaire de la Galerie Moderne Valjevo. Ljuba y est présenté par deux anciens tableaux et un texte dans le ca- talogue.
60. 1990., Ostrvo Jakljan_
Ile de Jakljan, archipel des Iles Elaphites au large de Dubrovnik
60. 1990. Sa Dušanom Savićem, Jakljan peg
Ljuba avec le joueur de football Dušan Savić, à Jakljan, 1990.

1991 Dernière fois en Adriatique

Ljuba devient membre de l’Académie des Sciences et des Arts de Belgrade. Il commence à écrire une nouvelle série d’articles sur l’art pour l’hebdomadaire serbe NIN, cette fois sous son vrai nom. Le premier article, intitulé « Le malheur d’un siècle » est consacré à l’exposition de Géricault au Grand Palais. Il expose dix-huit grands formats au château de Gruyères, en Suisse. Le vernissage le laisse indifférent. Il note : « Les gens ne sont pas capables de voir, la peinture n’intéresse personne ». Exposition à Genève des aquarelles, des lavis et des dessins à la galerie Art Bärtschi Compagnie. La guerre éclate en Yougoslavie. La colonie de vacances à Jakljan dont l’atelier de Ljuba fait partie est déser- tée. Ljuba, Slavica et Aleksa sont seuls sur l’île avec une famille croate, celle du gardien de la colonie. Ils regagnent la Serbie par le dernier vol qui assurait la liaison entre Dubrovnik et Belgrade. A Paris, Ljuba peint un tableau de petit format qui porte le titre Ma pro- menade après la mort. Facilement re- connaissable au milieu du tableau, il se représente lui-même sur le fond « d’une lumière blanche et dense ». Le 13 décembre meurt André Pieyre de Mandiargues. Ljuba, profondément affecté, perd à la fois un défenseur de son œuvre et un précieux ami.
61. 1991., Pozivnica za izložbu u zamku Grijer_
Invitation pour l’exposition au château de Gruyères.

1992 La Beauté et le Mal

Période marquée par des doutes et des angoisses. Comme toujours, Ljuba cherche le refuge dans son travail. Le tableau commencé vers la fin de l’année 1991 et nommé Cauchemar avance, tout en étant source d’une certaine perplexité. « Le corps de femme tendu. Le pont entre nos passions souterraines et un paysage de mort. Étrange manifestation de la beauté, du mal, de la laideur, du chaos ». Sur un autre tableau du même format le corps est relevé. L’étonnement se lit sur le visage. Le titre définitif du premier tableau sera Cauchemar I, Hommage à Füssli, du second Cauchemar II, le réveil. Il peint également Le paysage avec la pous- sière volcanique, « dédié à un amour se- cret ». Commence La grande image du Mal, de nouveau une symbiose entre la beauté et le mal. Il note : « Je trouve que le ta- bleau est très beau. Pourtant, le mal est présent, je ne sais pas où exactement ». Ljuba figure dans le « Dictionnaire de l’art moderne et contemporain », des éditions Hazan. Jean-Clarence Lambert en écrit le texte. « Ljuba élabore son style propre, entre fantastique et maniérisme, rêve et réalité, imaginaire et conceptuel ». Pour la première fois, il passe les mois d’été hors de Yougoslavie. Il s’installe dans le petit village grec de Xiropotami, près du Mont Athos, où il peint le tableau Athos, la montagne sacrée. Pendant le séjour, il se rend au monastère de Chilandar.
62. 1992., Ispred slika Košmar I i Košmar II_
Atelier du Val de Grace, Cauchemar I et Cauchemar II, 1992

1993 La mort du soleil

Alors que des nouvelles de plus en plus inquiétantes lui parviennent de Yougoslavie, Ljuba peint La mort de So- leil, « comme un pressentiment de l’ex- plosion ». La maison d’édition yougoslave « Le Rameau d’or » de Sombor publie un livre sur Ljuba. Un texte inédit de René de Solier de 1971 est accompagné de dessins et de lavis de Ljuba. Dans le livre « Le théâtre de l’âme », Alain D. Valade lui consacre un chapitre intitulé « Ljuba ou la Volonté de Création ». Thessa Herold, après neuf ans passés à Artcurial, décide d’ouvrir une nouvelle galerie, cette fois dans le Marais, près du Musée Picasso. Ljuba fait partie de l’exposition inaugurale « Au rendez-vous des Amis », au côté de Camacho, Matta, Mušić, Saura, Zao Wou-Ki… Le cata- logue est préfacé par Pierre Daix. Invité par Jacques Mousseau, ancien rédacteur en chef de la revue « Planète », Ljuba effectue un séjour à Tataouine, en Tunisie. A la fin de ses vacances d’été à Xiropotami, voyage périlleux à travers la Macédoine et le Kosovo pour re- joindre Draško et Branka Milićević, ses amis collectionneurs, dans leur maison de Buljarica (village en bord de mer au sud du Monténégro).
63. 1993., Sveska Renea de Solijea_
Manuscrit original du texte de René de Solier publié par Rameau d’Or, Sombor

1994 Le romantisme noir

Ljuba termine La mort de Soleil et en- tame sa phase du « romantisme noir » avec trois tableaux plus petits, de for- mat identique : La joie d’un espace inexistant, Le jardin du paon mort (où les foudres noires annoncent son désir de peindre des tempêtes et des catas- trophes) et Le monde disparu. Au printemps, Ljuba participe à l’ex- position « Hantises », organisée par Guy Bärtschi, dans sa galerie de Genève. Y sont exposées les œuvres de Bacon, Bell- mer, Brauner, Matta, Saura, Veličković… A l’automne, exposition personnelle à la galerie Guy Bärtschi, catalogue avec un texte et quelques poèmes de Jean-Cla- rence Lambert. Publication en quatre langues de « Le Symbolisme » par Mi- chael Gibson, avec la reproduction d’un tableau de Ljuba, aux éditions Taschen. La revue « Poésie » publie sur le thème de « L’Aimance » des dessins et des aquarelles de Ljuba, accompagnés de textes d’Alain D. Valade, André Pieyre de Mandiargues (Ode à Ljuba) et Patrick Grainville. Ljuba passe ses mois d’été à Xiropo- tami. Il peint sur des toiles clouées ou collées sur le mur de la pièce qui sert d’atelier, de séjour et de cuisine.
64. 1994., Ljuba sa decom_
Ljuba et ses enfants Tiana, Aleksa et Adriana, Xiropotami, 1994.
65. 1994., U ateljeu VdG_
Atelier du Val de Grace, hiver 1994. A gauche, Tentations, après, 1989. Derrière Ljuba, ébauche de Cité des âmes, terminé en 1997. A droite, deux tableaux peints à Xiropotami, L’île de têtes II et L’esprit de la tempête.

1995 La demeure des esprits

Ljuba poursuit son travail sur un tableau horizontal de très grand for- mat, dont le titre se précise au fur et à mesure. Tout d’abord « La demeure des esprits » semble lui convenir. Lju- ba sent que le tableau « commence à lui appartenir, qu’il s’y introduit, qu’il l’habite, qu’il s’y identifie ». Il dit aus – si : « Autrefois, je me débarrassais de mes tourments en les déposant sur les tableaux. Aujourd’hui j’y cherche un re- fuge ». Une nouvelle lumière apparaît sur le diptyque Cité – faucon, qu’il défi- nit comme « la bataille entre la lumière jaune et un blanc incandescent ». Il participe à Paris aux expositions « Figuration – Configuration » organi- sées par Jean-Louis Ferrier à la gale- rie Lavigne-Bastille et à « Figuration de l’imaginaire : du Réalisme fantastique à l’Art visionnaire » à La Galerie de Franca et Pierre Belfond. A Belgrade, à la Verica Art Galerie, exposition col- lective avec Dado, Veličković et Ljuba. Les textes du catalogue sont écrits par Živojin Pavlović et Branko Kukić. A Valje- vo, l’exposition « Petite anthologie de la peinture fantastique serbe » marque dix ans de l’existence de la Galerie Moderne Valjevo. Deux films documentaires, tous deux intitulés « Ljuba », lui sont consacrés, l’un réalisé par Ilja Slani et l’autre par César Sunfeld. Ljuba fait connaissance de l’écrivain et théoricien du surréalisme Saran Alexandrian qui, quelques années plus tard, écrira un texte pour une impor- tante monographie. Année marquée par des ennuis de santé. Deux opérations qui l’affaiblis- sent et suscitent des idées pessimistes.
Ljuba, atelier du Val de Grace, 1995
Ljuba et Sarane Alexandrian, fin des années 90

1996 La naïveté d’une époque

Exposition à la galerie Thessa Herold de cinq grands formats datant de la pé- riode 1972 – 1976. Catalogue avec une préface d’Alain D. Valade et des com- mentaires de Ljuba sur chacun de ses tableaux. Lors du vernissage, Ljuba est étonné par « la naïveté des tableaux et une volonté d’acier dans l’exécution ». Au mois d’octobre, participe à l’expo- sition de groupe « Liste noire » sur le stand de la galerie Thessa Herold à la FIAC avec Contes nocturnes (hommage à E.T.A. Hoffmann). A la Galerie Moderne Valjevo, à l’initiative de Ljuba, exposi- tion collective « Métaphysique – Nature morte » avec un texte de Živojin Pavlo- vić dans le catalogue. Pendant l’été en Grèce, il peint plu- sieurs tableaux de moyens formats. A Paris, il met les dernières touches au Jardin d’amour sous surveillance, com- mencé sur l’île Jakljan en 1990, et termine également Le nuage blanc, Le secret du diamant rose et Le réveil des démons tout en poursuivant son travail sur le grand format La jeune fille et la mort, qui pour l’instant se remplit d’ob- jets volants sombres et menaçants.
68. 1996., Ljuba i Adriana na Tesinom standu, FIACu_
Ljuba avec sa fille Adriana à la FIAC devant Contes nocturnes (hommage à E.T.A. Hoffmann), Paris, 1996

1997 La mort de la jeune fille

Ljuba commence un nouveau grand format en plaçant au milieu de la toile un corps de femme écartelée, enchai- née, dans un nimbe de particules lu- minescentes. A ce stade-là le tableau se bloque, n’avance plus. Il pose à côté de cette toile le tableau La jeune fille et la mort, « pour qu’ils s’aident mutuelle- ment ». C’est ce dernier qui subit alors une modification radicale. « La jeune fille, à la chevelure blonde et abondante et aux beaux seins écartés » est dis- simulée par une nuée d’objets volants. Picturalement elle est morte et enter- rée. Il se sépare avec regret du tableau Ishibor, hommage à Beliaïev, qu’il consi- dère comme son autoportrait métaphy- sique. Ishibor (ou Ichtiandre) est le hé- ros principal d’un des romans préférés de sa jeunesse, « L’homme-amphibie », de l’écrivain russe Alexandre Beliaëv. Il peint douze petits formats sous le titre commun Les errances d’une ombre et plusieurs tableaux pour l’exposition pro- grammée en 1988 à la Galerie Thessa Herold. Parmi eux, Barrage devant l’éter- nité, tableau exécuté avec une perfection glaciale qui provoque en lui un sentiment d’étrangeté, « comme s’il avait été peint par quelqu’un d’autre ». Il éprouvera en- core ce sentiment et le mentionnera deux ou trois fois dans ses cahiers. A Belgrade, la revue « Itaka » consacre tout un numéro (270 pages) aux dessin et tableaux de Ljuba.
73.1997., Atelje VdG_
Atelier de Ljuba, Paris, 1997

1998 Fin de partie

Deux expositions importantes. A Pa- ris, Thessa Erold présente, dans sa galerie, vingt-quatre tableaux récents, dont douze spécialement peints pour cette occasion. Catalogue préfacé par Alain Vuillot, jeune professeur de philo- sophie. En Belgique, à la Fondation Ve- ranneman, deux salles entières consa- crées à l’œuvre de Ljuba. A Belgrade, à la Verica Art Galerie, exposition de deux grands tableaux, La Mort du soleil et Grande image du Mal. Dans son village grec, il loue une nouvelle maison, avec un réduit au fond de la cour qui lui sert d’atelier. Il y peint le tableau Fin de partie (Beckett), qui présente « la joie de la délivrance, la festivité de l’abandon de la matérialité terrestre ». En automne, il commence de grands formats, Les vaisseaux fan- tômes et Les cryptes du temps, avec les éléments iconographiques déjà connus : les corps, la lumière intense, les sque- lettes, les émiettements, les dispersions… Une interview de Ljuba, faite par Alain Vuillot, paraît dans la revue litté- raire d’orientation surréaliste « Supé- rieur inconnu ». A la Galerie Moderne Valjevo, expo- sition de la collection de Čedomir Edre- nić. Une trentaine d’oeuvres de Ljuba sont présentées au côté des tableaux de Šejka, Dado, Samurović et les autres. Vers la fin de l’année Ljuba perd un de ses meilleurs amis, le cinéaste et écrivain Živojin Pavlović.
69. 1998., Ljuba i Tesa Erold_
Ljuba et Thessa Erold, vernissage de l’exposition, Paris 1998

1999 Les cryptes pour l’histoire

Le travail sur Les cryptes du temps pro- gresse bien. Ljuba lit « Hypérion », roman de science-fiction écrit par Dan Simmons et « Le Mystère des Cathédrales » de Fulcanelli. Il trouve de « splendides coïn- cidences » entre la pensée du célèbre al- chimiste et son propre univers. Il note que, grâce à Fulcanelli, il commence à saisir la différence fondamentale entre l’art go- thique et celui de la Renaissance. Au mois d’avril, le tableau Les cryptes du temps (Dan Simmons) est verni et « transmis à l’histoire ». Le texte de Ljuba « Vers les cryptes du temps » est publié dans le nu- méro « Fin du siècle » (octobre-décembre 1999) de la revue « Supérieur inconnu », pour lequel il dessine la couverture.En novembre, exposition d’œuvres sur papier à la galerie La Hune-Brener, Paris. Parution de l’anthologie de l’art mo- derne et contemporain « L’aventure de l’art au XXème siècle » de Jean-Louis Fer- rier, avec un texte sur Ljuba, « Le monde fantastique de Ljuba », et la reproduction du tableau Vénus et la mort. La chaine d’hôtels Novotel lui com- mande un dessin qui sera lithographié en soixante exemplaires et lui offre en échange un voyage aux îles du Cap Vert. Au mois d’octobre, voyage à Belgrade où il voit pour la première fois les dégâts cau- sés par les bombardements de l’OTAN. Au mois de décembre, voyage à l’île de La Réunion, sur invitation de Jacques Mousseau. Ljuba fait la connaissance de Michel Poux, qui deviendra son ami et le plus im- portant collectionneur de son œuvre.
71. 1999., Kapverdska ostrva_
Ljuba sur l’île de Sal au Cap Vert, 1999

2000 Le secret de la porte rouge

Ljuba termine le tableau Les vais- seaux fantômes, auquel il donne un deuxième titre serbe : Le secret de la vie après la mort. Au milieu du tableau il peint un squelette, avec une tête qui res- semble à la sienne. Cet autoportrait ma- cabre est entouré de cathédrales qui s’écroulent, de vais- seaux fantômes, de forêts enchantées, d’un personnage émergeant du monde souterrain, d’une mu- sicienne jouant sur le fémur du squelette, d’une femme aimée à une époque ancienne, d’une salle cristalline… Il pense que c’est son pre- mier tableau qui s’adresse à lui depuis l’au-delà. Un autre tableau, Le secret de la porte rouge, le rempli de panique. Il lui attribue des pouvoirs maléfiques. Il participe à l’exposition « Phantas- tik am Ende der Zeit » à l’université Erlangen, Nürnberg, Allemagne et à l’exposition de groupe « Un regard de Bernard Noël », à La Galerie de Franca et Pierre Belfond. La revue « Phréatique » publie sur la couverture de son numéro 93 (Langage et création) la reproduction du tableau Salomé. Le texte sur Ljuba est de Ray- mond Beyeler. Ljuba perd un ami et collectionneur, Jova Obradović.
72. 1999., Ljuba i Mišel Puks_
Ljuba et Michel Poux à l’aéroport, au retour des îles Seychelles, 2003
75. 2000., Luba u ateljeu_
Ljuba à son atelier devant le tableau Les vaisseaux fantômes, 2000

2001 Évasion par les tableaux

Deux grands formats sur lesquels il travaille depuis 1999 changent constamment d’aspect. Il y voit, suc- cessivement, « Les signes du ciel », « Lolita de la lumière », « Les femmes de Dante », « Le domaine de Lucifer »… Qui sont ces femmes qui surgissent des ténèbres ? – se demande-t-il. Pourquoi leurs corps irradient la lumière ? Est- ce que c’est la lueur de l’enfer ? Ljuba est de plus en plus effrayé par la vitesse du temps qui s’échappe et par le déclin de son existence terrestre. Il se demande : « Est-ce que mon évasion par les tableaux est assurée ? » Il termine seize petits formats prévus pour l’édition spéciale de sa prochaine monographie. Le titre L’errance d’un es- prit fatigué est identique à celui d’un ta- bleau de l’époque de ses études. En 1958 c’était choquant, en 2001 c’est naturel. Il participe à l’exposition « Autour de la revue Supérieur Inconnu », à la cha- pelle de la Visitation de Thonon-les- Bains (Haute-Savoie), dont il réalise l’affiche et le carton d’invitation. La re – vue reproduit Le secret de la porte rouge, qui figure dans l’exposition, de même que Fin de partie (Becket). Exposition de groupe « A la folie… », à La Galerie de Franca et Pierre Belfond. En février, il passe deux semaines aux îles du Cap Vert. Au village de Xi- ropotami, en Grèce, il bénéficie à partir de cet été d’une nouvelle maison, avec un atelier dans lequel il peut s’isoler et se consacrer pendant des heures à son travail.
76. 2001., Ljuba u grčkom ateljeu_
Ljuba dans son nouvel atelier grec, Xiropotami, 2001

2002 Rêve de vol

Dernières touches et pose du vernis sur les tableaux commencés en 1999. Les titre définitifs sont L’abîme pour un ange et Ténébreuse. Participe à l’exposition « Rêve de vol », au Musée des Arts Décoratifs de Belgrade, organisée par la compa- gnie aérienne yougoslave JAT. Exposi- tion collective « Victor Hugo et les ar- tistes contemporains » à Chamalières (France). Il y est présent par deux ta- bleaux des années 50, L’élevage des boîtes métalliques et Sortie des cocons. A Paris, Thessa Herold expose un de ses tableaux récents à la FIAC.
Ljuba dans son atelier parisien, à droite le tableau en cours L’ombre et la lumière, 2002

2003 Ombre et lumière

L’opposition entre la lumière et les forces obscures, déjà visible sur les ta- bleaux Cité des âmes, Mort de jeune fille, Les pulsations noires, Ténébreuse, peints dans les années quatre-vingt-dix, s’in- tensifie. Il peint un grand format au double titre L’ombre et la lumière et Le retour de l’ange noir, qu’il définit nette – ment comme un tableau « entre le pa- radis et l’enfer ». Une très importante exposition re- trospective a lieu à Subotica (Serbie). Une centaine de tableaux, de 1953 à 2003, sont réunis sous le titre « Ljuba ou l’évocation de la lumière ». Le texte du catalogue est écrit par un grand connaisseur de la vie et de l’œuvre de Ljuba, Milenko Radović. Parution de la monographie « Ljuba » aux Editions Cercle d’Art, qui met en évidence surtout les œuvres des deux dernières décénies. Le texte est de Sa- rane Alexandrian. La télévision serbe RTS – TV Bel- grade produit et présente une émis- sion de 90 minutes intitulée « La soirée artistique – Ljuba ». La productrice de l’émission, Zorica Pantelić, conçoit en- suite une deuxième émission de 30 mi- nutes, sous le titre « Lumière et obs- curité de Ljuba Popović ». Entre Zorica Pantelić et Ljuba naîssent alors une amitié et une complicité qui dureront jusqu’à ses derniers jours. Ljuba et Michel Poux effectuent leur premier voyage aux Seychelles. Pen- dant quelques années encore, au cœur de l’hiver, ils quitteront le froid parisien pour le soleil des tropiques.
79. 2003., Otvaranje izložbe u Subotici_
Vernissage de l’exposition à Subotica. De gauche à droite, Ljuba, Milan Komnenić, Moma Pavlović, Zoltan Vida, 2003
78. 2003., Izložba u Subotici, konferencija za štampu_
Exposition à Subotica, conférence de presse, de gauche à droite: Nikola Kusovac, Ljuba, Zoltan Vida, Moma Pavlović, 2003

2004 Histoire de têtes

A la Galerie Moderne Valjevo, Ljuba organise une exposition sur le thème des têtes coupées. Il y participe avec le tableau peint l’année précédente Contri- bution à l’histoire des têtes coupées. Bien- tôt, les têtes géantes prendront une place importante dans sa peinture. Elles auront très souvent une bouche grande ouverte, symbolisant « la bouche de l’enfer », qui attire vers elle de petits personnages et les engloutit. Il termine le tableau Face aux ténèbres. A l’occasion de la parution de la mo- nographie « Ljuba » par Sarane Alexan- drian, Thessa Herold organise, dans sa galerie, la présentation du livre et une petite retrospective de l’œuvre de Ljuba. A Belgrade, Ljuba commence sa colla- boration avec l’Espace artistique Cercle de Paris, fondé par Živojin Ivanišević. Au mois d’avril, court voyage en Is- rael, à la Mer Morte.
80. 2004., Ljuba i Živojin Ivanišević_
Ljuba et i Živojin Ivanišević à l’Espace artistique Cercle de Paris

2005 Le rêve des fleurs vénéneuses

A Paris, à la Galerie Rambert, exposi- tion d’un seul tableau, Le rêve des fleurs vénéneuses, commencé l’année précé- dente. Le texte du catalogue est écrit par Michel Ellenberger. Quelques jours après un vernissage très réussi, Ljuba note dans son cahier : « Ce n’est pas mon rêve ça, c’est le goût acide du poi- son secreté par chaque être conscient de l’inéluctabilité de sa disparition ». Il termine les tableaux Une séance mira- culeuse et La blancheur du demain (en hommage à Živojin Pavlović) .A Belgrade, il participe à l’exposi- tion organisée par l’Espace artistique Cercle de Paris à l’occasion de la sortie du livre « Cercle de Paris – Ljuba, Dado, Vladimir Veličković, Miloš Šobajić ». Fait connaissance de Pierre Mahieu, son plus grand collectionneur de des- sins.
81. 2005., Sa otvaranja izložbe_
Ljuba, entouré de ses invités au vernissage de l’exposition, Le rêve des fleurs vénéneuses, 2005

2006 Le grand format

A Belgrade, l’Espace artistique Cercle de Paris organise une exposition de six tableaux, à l’occasion de la parution de la monographie « Grands formats ». Le texte intitulé « Le magicien du Val de Grâce » est de Milan Komnenić. A la vue de ses derniers tableaux Ljuba est de nouveau saisi par cet étrange sentiment que les tableaux ont été fait par quelqu’un d’autre. Il est de plus en plus fatigué. Il a l’im- pression « que son corps complote contre lui ». Il supporte mal une opération du genou, mais continue à peindre au même rythme qu’avant. Il note dans son cahier que la peinture est sa source d’énergie et qu’elle le ramène à lui-même. Termine le tableau L’Ecroulement, qui est bientôt acquis par Michel Poux.
Ljuba et son « amie de toujours » Rada Đu- ričin, exposition Grands Formats, Belgrade, 2006
Milan Komnenić inaugure l’exposition Grands Formats, Belgrade, 2006

2007 L’expulsion du paradis

Derniers coups de pinceau sur le grand format Démiurge ou L’expulsion du paradis. Le vrai défi a été le rapport entre les tonalités bleu pâle et rose. Satisfait du résultat, Ljuba note que ce tableau est peut-être son testament. Il travaille sur d’autres tableaux, plus pe- tits, qui portent des titres provisoires (« La sphère bleue », « Les mats des bateaux invisibles », « Les larmes mé- talliques », « L’éclipse »…), toujours dans la volonté pour « établir un équi- libre entre la lumière du jour et les nau- sées souterraines ». A Belgrade, il participe à l’exposition « Hommage à Gustave Moreau », orga- nisée, d’après son idée, à l’Espace ar- tistique Cercle de Paris. Deux tableaux, L’hommage à Gustave Moreau et Les accords perdus d’Orphée ont été peints spécialement pour cette occasion. A la Galerie Moderne Valjevo, il est l’initia- teur de l’exposition « Le symbolisme dans la peinture serbe ». Branko Kukić est l’auteur de l’exposition et du texte pour le catalogue. Voyage aux Seychelles avec Michel Poux. Été en Grèce consacré au repos et à la peinture.
86. 2007., Sa Brankom Kukićem, Valjevo, priprema izložbe o simbolizmu_
Ljuba et Branko Kukić, accrochage de l’exposition Le symbolisme dans la peinture serbe, Valjevo, 2007
85. 2007., Ljuba u Valjevu_
Ljuba, Valjevo, 2008

2008 Un enfer tout à fait personnel

Il termine le tableau Les signes du déluge, commencé en 2006. La sponta- néité et la clarté de la partie centrale proviennent de la blancheur de la toile qu’il a laissé intacte. Les ombres qui entourent une cité cristalline regorgent de têtes et de petits être volants, qui représentent les âmes perdues. Il ter- mine également un autre grand for- mat, Les âmes perdues, commencé en 2007. Un troisième grand format, dont les ébauches ont été posés sur la toile le jour du Noël orthodoxe (le 7 janvier), est exécuté très vite. Ce tableau s’ap- pellera Le chemin de l’enfer. « Quelque chose a éclaté comme un furoncle. La toile s’est ouverte en forme d’enfer et s’est remplie de personnages tombant dans un précipice ». Dans son cahier, Ljuba explique qu’il s’agit ici d’un enfer tout à fait personnel. Vers la fin de l’an – née il commencera encore deux autres grands formats sur le même thème, L’invitation pour l’enfer et L’innocence et les forces diaboliques. Une émission pour la télévision serbe RTS, intitulée « Pouvoir du ta- bleau – entretien avec Ljuba Popović », est réalisée par Jasmina Simić. Voyage aux Seychelles, au mois de février. L’été à Xiropotami, en Grèce.
88. 2008., Ispred slike Silazak u pakao_
Ljuba devant la première ébauche du tableau Le chemin de l’enfer, Paris, 10 janvier 2008
87. 2008, Ljuba i Tiana_
Ljuba et sa fille Tiana devant les tableaux Le dépôt des bateaux maudits et L’évaporation, Paris, 2008

2009 Mission planétaire

Le collectionneur Michel Poux, qui a déjà réuni une trentaine d’oeuvres de Ljuba, lui commande un très grand for- mat (260 x 400 cm). Ce sera le second tableau d’une dimension aussi impor- tante depuis la partie centrale du tryp- tique Hommage à Sir James George Frazer (1978). La toile est tendue sur le châssis au mois de septembre et les premières couches de peinture y sont posées quelques jours plus tard. Le sujet sera probablement quelque chose autour de la fin du monde, de l’apocalypse, de l’ar – rivée de l’Antéchrist… éventuellement une promenade après la mort. Ljuba se demande s’il va avoir assez de force pour le terminer. Sa santé l’inquiète. Il se remet diffici- lement d’une seconde opération du ge- nou. Malgré des douleurs articulaires qui l’empêchent souvent de travailler, il continue, parce que la peinture est la seule chose qui donne du sens à sa vie. Elle est « sa mission planétaire ». Il termine un tableau plein de dou- ceur, L’innocence et les forces diaboliques, puis un autre, L’invitation pour l’enfer. Les deux sont acquis par Michel Poux, comme prévu. La Somnambule II part en Israël. L’évaporation, L’abysse et L’abys- se pour les objets inconnus prennent la route de Belgrade. Il exécute également deux tableaux de formats carrés, inti- tulée L’invitation pour l’enfer I et L’invita- tion pour l’enfer II, sur lesquels il pour- suit l’exploration d’une de ses images préférées : les têtes géantes avec des bouches grandes ouvertes en guise de bouches de l’enfer. A la Galerie Moderne Valjevo, il parti- cipe à l’exposition « Portrait entre la ré- alité et l’imagination », réalisée d’après son idée. La même exposition sera pré- sentée à l’Espace artistique Cercle de Paris, à Belgrade. Le 11 septembre, mort de Sarane Alexandrian.
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Première ébauche du tableau au titre provisoire, L’arrivée de l’Antéchrist, Paris, septembre 2009
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Ljuba devant le tableau en cours, L’arrivée de l’Antéchrist, novembre 2009

2010 Promenade après la mort

Le grand tableau « L’arrivée de l’Anté- christ » devient « Ma promenade après la mort ». Ljuba change plusieurs fois le visage d’un des personnages qu’il n’arrive pas à accorder à l’atmosphère du tableau. Il veut que son tableau soit « un dernier hurlement planétaire avant l’obscurité finale ». En même temps, il remarque que dans les parties obs- cures de son tableau apparaissent des étoiles qui scintillent. C’est l’univers qui est éternel, pas les humains. Il termine le tableau Singularité de l’action démoniaque sur le corps. Acquis par Michel Poux, il rejoindra L’innocence et les forces diaboliques, avec lequel il forme dorénavant un diptyque. Avec une énergie qui semble intacte, il exécute en même temps plusieurs tableaux d’un format plus petit : Le masque bleu et ses visiteurs, L’amour pyramidal, l’amour sub- mergé, Le château de dernière espérance, Le château noir, Allégorie de l’âme… A la Galerie Moderne Valjevo, expo- sition des dessins de Ljuba à l’occasion de la parution du livre « Ljuba : dessins, 1952 – 1962 ». Le texte du livre est écrit par Milenko Radović.
92. 2010., Ksiropotami_
Ljuba dans son atelier grec devant la première version de La solitude, Xiropotami, 2010
91. 2010., Atelje VdG_
Ljuba dans son atelier parisien, septembre 2010

2011 Est-ce qu’il y a une vie après la mort

L’année est consacrée principale- ment à la finition du grand tableau, qui a pour titre définitif : Est-ce qu’il y a une vie après la mort. Les cinq figures cen – trales gardent la fraicheur d’exécution des premiers jours, excepté un visage qui, après avoir subi plusieurs change- ments, sera brouillé. Ljuba n’y touchera plus. Ces figures semblent représenter tous les états d’un corps entre la vie et la mort. Celle du milieu, lumineuse et aérienne, pourrait symboliser l’âme qui s’élève, laissant derrière elle un corps décrépi et un cadavre sous ses pieds. Les parties périphériques du tableau, plus sombres, deviennent de plus en plus denses, peuplées de petits dé- mons, des âmes en peine, des crânes, des créatures fantastiques… Ljuba ne croit pas en Dieu. Il dit que, s’il y a une vie après la mort c’est par ses tableaux qu’elle devrait être assurée. Dans la première moitié de l’an- née naissent les tableaux de formats moyens L’inventaire des objets bizarres et Le sorcier. Pendant l’été en Grèce, Ljuba peint La reine du feu (deux tours en flamme), La Bouche de l’enfer, L’île des têtes perdues, La belle et robot, La ruine en flammes… et une vingtaine de petits formats. Le plus souvent il met en scène l’oppo- sition entre les corps porteurs de lu- mière et les forces maléfiques. Les têtes géantes apparaissent sur plu- sieurs tableaux.
Partie centrale du tableau Est-ce qu’il y a une vie après la mort, 2011
Ljuba et Zorica Tomić, ambassadrice de Serbie auprès de l’UNESCO, Paris 2011
96. 2012., Ljuba i Slavica, verniranje velike slike_
Ljuba et Slavica Batos pendant la pose du vernis, Est-ce qu’il a une vie après la mort, 2012

2012 Départ du tableau au château

Le tableau Est-ce qu’il a une vie après la mort une fois terminé, est verni, dé- monté et envoyé chez son comman- ditaire Michel Poux, dans son château d’Assy qui accueille la plus riche col- lection privée d’œuvres de Ljuba, prin- cipalement des grands formats. Bien que désemparé par le départ de son « tableau testament », Ljuba continue à peindre. Pendant son séjour estival en Grèce, il exécute plusieurs tableaux à qui il donnera leur forme dé- finitive à Paris : Le destin de Rolla (hom- mage à Henri Gervex), Métamorphose, Le maître des âmes perdues, L’invasion avant le déluge, La tête de Saturne… A Saint-Louis, il participe à une très importante exposition collective consa- crée aux mouvements de dadaïsme et de surréalisme : « Chassé-croisé Dada – surréaliste, 1919-1969 ». L’initiateur de l’exposition et auteur du texte dans le catalogue est Georges Sebbag.
97. 2012., Slika Ima li života... u dvorcu Asi_
Est-ce qu’il a une vie après la mort, dans un des salons du château d’Assy, 2015

2013 Sans grand format

Une des rares années où il n’y a aucun tableau de très grand format dans l’atelier de Ljuba. Il travaille sur plusieurs « cent figures » (162 x 130 cm) : Les fiancées de ténèbres, La fumée blanche, Les métamor- phoses… Il se rend à Belgrade pour assister à la promotion du livre « Ljuba, dans les collec- tions privées », avec des textes de Nikola Kusovac, Sreto Bošnjak, Milan Komnenić et Dejan Đorić. Espace artistique Cercle de Paris, l’éditeur de l’ouvrage, organise à cette occasion une exposition des œuvres reproduites. La Galerie Moderne Valjevo organisel’exposition d’une des plus belles collec- tions privées d’œuvres de Ljuba, celle de la famille Ćurković. Les textes pour le catalogue sont de Ljuba et de Nikola Ku- sovac.
99. 2013., Ljuba, Draža i Marijana_
Ljuba et le couple de collectionneurs Draža et Mariana Marčić, exposition « Ljuba, dans les collections privées », Belgrade, 2013
98. 2013., Ljuba i Ivan Ćurković, pripremanje izložbe_
Ljuba et Ivan Ćurković, préparation de l’exposition «Collection de la famille Ćurković», à la Galerie Moderne Valjevo, 2013

2014 Plus rapide, plus expressif

A partir des années 2012 – 2013, la peinture de Ljuba montre des signes d’un certain « modernisme ». L’exécu- tion est plus rapide, plus spontanée. En témoignent les tableaux Femme-hibou, l’invasion des objets bleus, La belle au bois métallique, Les larmes aux soleil, L’amour bestial… Le corps de femme est tou- jours le centre d’intérêt. Il est lumineux, impudique, menaçant et menacée à la fois. Les crânes et les têtes aux expres- sions effrayantes sont très présents au point de devenir le seul sujet du tableau. Exemple : La tour des têtes coupées. Ljuba participe à plusieurs exposi- tions collectives à Valjevo et à Belgrade. L’espace artistique Cercle de Paris et la maison d’édition Paideia publient ensemble un livre avec des reproduc- tions des œuvres de Ljuba et un choix de textes sur lui. A Valjevo, exposition d’un seul tableau, Mystère en pleine lumière. Catalogue avec des reproductions de détails du ta- bleau et un texte d’Alain Vuillot. Été tranquille en Grèce, ponctué de conversations animées avec Nikola Ku- sovac.
Ljuba et Nikola Kusovac, Xiropotami, 2014
Ljuba avec son fils Aleksa, Xiropotami, 2014

2015 Macabre et romantique

Dans la continuité des tableaux très expressifs et avec une thématique plu- tôt macabre, Ljuba peint Les miroirs des esprits oubliés, Les forces maléfiques, La danse macabre, La lune blanche… Excep- tion à la règle Styx-rivière et Le secret de la Mer Rouge où certains peuvent lire une mélancolie ou d’autres un ro- mantisme empreint d’angoisse. Il com- mence le tableau de grand format L’em- pire de Satan. A la galerie RTS, Belgrade, exposition de onze tableaux de grands formats. Le texte pour le catalogue, intitulé « Hom- mage au maître », est écrit par un ami et grand connaisseur de l’œuvre de Lju- ba, Milan Komnenić, décédé quelques semaines auparavant. Le jour du vernis- sage, présentation de la monographie « Ljuba – choix de l’opus », publié avec le concours de trois éditeurs : Pariski krug/RTS/Službeni glasnik. Les textes sont choisis parmi ceux de plusieurs auteurs. A la Galerie Moderne Valjevo, quatre tableaux de Ljuba font partie de l’expo- sition « Collection de Draško Milićević ». En décembre, l’émission « Le temps pour l’élite », présentée par Zorica Pantelić à la télévision serbe RTS, est entièrement consacrée à Ljuba. Au mois d’octobre, mort soudaine d’Anne Tronche. Critique et historienne de l’art, amie dévouée, elle a été l’au- teure d’un excellent texte sur Ljuba paru dans la monographie de 1982. Profondément affecté par sa mort, Lju- ba lui consacre le tableau Antinéa.
102. 2015., Ispred slike Carstvo Satane_
Ljuba devant le tableau en cours L’empire de Satan, Paris, 2015
103. 2015., Otvaranje izložbe u RTS_
Vernissage de l’exposition à la Galerie RTS, Belgrade, octobre 2015

2016 Derniers tableaux

Au début de l’année, lors d’une visite à l’atelier du Val de Grace, Thessa et Jacques Herold proposent à Ljuba une exposition dans leur galerie, pour le mois de juin. Les tableaux sont déjà en nombre suffisant. Il ne reste qu’à ter – miner L’empire de Satan et à peaufiner éventuellement quelques détails sur les autres. Comme prévu, l’exposition a bien lieu au mois de juin. Elle est dédiée à Anne Tronche. Le texte, « Ljuba – le monde des tables et des souterrains », repris de son livre « Chronique d’une scène parisienne » (Ed. Hazan), est pu- blié dans le catalogue. Y figurent égale – ment un texte de Mathilde Marchand et un autre de Thessa et Jacques Herold en hommage à Anne Tronche.Juste après le vernissage, Ljuba part en Grèce. Une fois sur place, sans trop tarder comme d’habitude, il met en chan- tier plusieurs tableaux. Très vite pour- tant, les ennuis de santé l’empêchent de travailler. Son état de santé se com- plique et il est transféré d’urgence dans un hôpital de Belgrade. Il décède dans la nuit du 11 au 12 août. Pour la première fois, son atelier du Val de Grâce à Paris, reste- ra désert au mois de septembre.
2016., Ljuba, Tesa i Žak Erold_
Ljuba avec Thessa et Jacques Herold avant le vernissage, Paris, juin 2016.
2016., Atelje bez Ljube, novembar 2016_
Atelier du Val de Grace, septembre 2016